「殖民國控制殖民地人民,破壞其原有的社會型態、經濟組織系統、服飾與外在符徵所訴諸的暴力行逕,此一暴力總有一天將會在殖民地人民湧入禁忌之城,決定做自己命運的主人之際,回歸它們手中。」《大地的不幸者》-法藍茲.法農(Frantz Fanon),後殖民理論家與精神分析學家
〈我親愛的(Habibi)〉, 17公尺, 2004
樹脂、光纖、聚苯乙烯、飛機噴射扇
東京宮〈我們的故事(Notre histoire...)〉一展展景, 2005
© Adel Abdessemed. All rights reserved, Collection Mamco Genève
原籍阿爾及利亞,旅居法國的藝術家亞德爾.阿伯迪森敏(Adel Abdessemed)長久以來的創作均基於其身為殖民地人民後代的背景,以殖民國對殖民地人民施暴所留下的傷痛為出發點,創作出一系列揭發「暴力」形式,進而批判當今國際政治情勢下,強弱國家對立,引發社會衝突與人權問題的作品,並常被視為是激進派的藝術家之一。
其幾件知名的創作有於威尼斯雙年展中展出的〈流放(EXIL)〉一作,這件以霓虹燈管所完成的概念作品,改編自英文出口(EXIT)一詞,冷嘲著當今全球關注的非法移民議題;又如在伊斯坦堡雙年展中展出的〈張斧(Axe On)〉,一個個如地雷般,用利刃所組成的蓮花狀雕塑作品所影射的暴力意象赤裸裸地具現在觀者眼前。或更早之前,阿伯迪森敏於東京宮〈我們的故事(Notre histoire...)〉一展中所展出的 〈我親愛的(Habibi)〉或許還讓人印象深刻。一個長十七尺的巨型人骨雕塑作品,大剌剌地懸吊在展場中,雖是死的象徵,這死的意象確非停滯不前,而以一種拋向前方的姿態影射出另一更深層的時空-「飛向一個未知的未來?」藝術家並宣稱 「〈我親愛的〉代表的是我的自我(ego),它曖昧的姿態象徵的則是一種『希望』,一個還看得到終點站的旅程。」
Eija-Liisa Ahtila, 〈何處是何方?(Where is Where ?)〉, 2008
6 面銀幕錄像投影作品, 45 分鍾
Photo : Marja-Leena Hukkanen
Courtesy Marian Goodman Gallery, New York et Paris
© 2008 Crystal Eye – Kristallisilmä Oy, Helsinki
〈何處是何方?(Where is Where ?)〉
上述的文字看似隱諱,在此我們或許必須先瞭解到底阿爾及利亞與法國之間那段糾纏的殖民歷史到底在被殖民者心中留下多大的衝擊,或許才得以更進一步瞭解阿伯迪森敏的創作思維與世界。正好,法國網球場美術館(Jeu de Paume)現今推出的芬蘭藝術家艾嘉-麗莎.安提拉(Eija-Liisa Ahtila)的個展中,一件今年才完成的新作〈何處是何方?〉,正是可以讓我們一探此一歷史事件的機會。
艾嘉-麗莎.安提拉善長利用複雜但精確的故事情節與影像蒙太奇,以多銀幕的投影裝置來探討現代人心中所不為人知的不安、恐懼、瘋狂與失控的議題。〈何處是何方?〉一作共由六個投影銀幕所組成,當我們一走進展場,首當其衝的是一部以血紅色為基調所完成的動畫短片,如序語般簡短道出了本件長片史詩的內容。在看完這簡短的序言之後,我們隨之進入一個由四大投影幕所圍繞的空間,此一空間將觀者挶限在一「介中(in-between)」的觀視環境下,巧妙地呼應著片中女主角-詩人的立場。長片的創作靈感主要來自一件發生在五十年代末期的真實社會事件。當時,兩個阿爾及利亞男孩在得知法國軍團佔據了一個村落,冷血地殺掉村中四十個村民,其中兩個村民正是他們的親戚,他們因此決定為親戚報仇,報復法國軍團的暴行,而下手殺害了他們的童年好友,一個法國男孩。這起悲傷的真實歷史事件除了點出法國殖民者在阿爾及利亞中所進行的殘暴統治行為,也點出兩國人民至今尚未化解的對立敵意,以及錯綜複雜的後殖民議題。
Eija-Liisa Ahtila, 〈何處是何方?(Where is Where ?)〉, 2008
6 面銀幕錄像投影作品, 45 分鍾
Photo : Marja-Leena Hukkanen
Courtesy Marian Goodman Gallery, New York et Paris
© 2008 Crystal Eye – Kristallisilmä Oy, Helsinki
傷痕、記憶、過往、當下 Scar, Memory, Past, Present
基本上,芬蘭藝術家艾嘉-麗莎.安提拉的裝置作品主要是以參雜著科幻元素的虛構情節,自這件歷史悲劇出發,以探討人性、國家認同、國族意識之於戰爭的命題。片中一開始敘述著女詩人有一天突然得到死神的拜訪,後者與詩人達成交易,要詩人用它的(創作)工具-「文字(Word)」來換取得以「超越時空(space-time)」的機會。藝術家在法國藝術雜誌Art Press二月刊的訪談中提到「這件故事中主要有四個重要元素:文字、死神、空間與時間。...詩人確保著個體與現實之間的聯繫,對立著死神所代表的非人(non-being)。而死神需要詩人(用文字)來聯繫不同的時空,以得以與個體(being)產生關係。而死神給詩人的交換條件則是讓其得以超越時空,...在其中過去與當下相互交織。詩人因此得以成為聯繫不同時空的橋樑與代言人。」而正是延續這樣的劇情發展,我們也得以透過片中演員的演出,穿插著歷史記錄影片,回顧整起謀殺事件的過程,以及該事件之所以會發生的前因後果,還有在事件發生之後,兩位男孩在回應心理醫生的問題所回答的內容「為什麼沒有一個法國人做牢?...為什麼牢中只有阿爾及利亞人?...為什麼法國人殺了四十個人卻沒有一個人要負責?...」,這些內容均都記錄在知名後殖民理論家法藍茲.法農《大地的不幸者》一書中,而這段記錄也是艾嘉-麗莎.安提拉的創作靈感來源之一。
〈何處是何方?〉一作最後結束在最後一個,第六個銀幕,同序言般簡短的一段黑白記錄片,呈現四十位村民入葬的畫面,赤裸的見證留下我們觀者無言的晞噓。藝術家在本作中帶領我們回顧殘酷的歷史,然其詩意的處理手法也似忽自中開出一扇窗,如作品中的虛構情節在歷史的脈絡中岔出一個希望,詩人就是法農的化身,用文字留下見證。
《別相信我(Don't Trust Me)》, 2007
六件錄像作品
Courtesy of Artist and David Zwirner, New York
Magasin Centre National d'Art Contremporain
「暴力」真實的面貌 What's Violence
在瞭解阿爾及利亞與法國之間這段糾纏的過去,令人無耐的歷史,這樣的認知正有助於我們進一步探討亞德爾.阿伯迪森敏長年以來關心的議題與創作理念。
於二月初開幕,亞德爾.阿伯迪森於法國Magasin國立當代藝術中心推出的個展名為《勾勒人文園地(Drawing for Human Park)》。在我們一走入自舊工廠改建完成的藝術中心,迎面而來的是一件豎立在貫穿建築物,名為長廊(Rue)的開放性展場中用鐵條焊鑄完成的一件巨型棺材狀雕塑品。命名為《唯意志論先生(Messieurs les Volontaristes)》,藝術家在此引用哲學家尼采的思想,嘲諷的語氣事實上哀悼著當今社會在一切以經濟獲利為目地的自由資本主義下,烏托邦信念的逝去。此外,藝術家還拿另一件舊作〈我親愛的〉來與這件作品做比較說道「如果〈我親愛的〉一作浪漫的標題隱射著一絲『希望』,四年後的今天所完成的《唯意志論者先生》,我要說的是一種『逝去』,一場已經不可回頭的旅程。」這番宣言正是藝術家面對現今人文社會、國際人權情勢所做出最直接的指控。此外藝術家還展出一系列用六個錄像作品所組成的作品《別相信我(Don’t Trust Me)》,每部片長約五秒不到,反覆播放的特寫鏡頭所呈現出的是一隻隻受捆的動物:綿羊、馬、牛、豬、公山羊與幼鹿,被一鎚斃命的畫面。殘暴的行為與殘酷的畫面挑戰著觀者的耐力,要我們直視「暴力」真實的面貌,也隱喻舊有信念的不復存在!
《有其母必有其子(Telle mère, tel fils)》, 27 x 4 公尺, 2008
飛機殘骸,棉布
Courtesy of Artist and David Zwirner, New York
Photo : écran voilé
介於自發性與爆發性 Between Spontaneious and Canonical
而就在本展開幕同時,國際知名藝評家勞伯.史托(Robert Storr)才在法國藝術雜誌Art Press《下錯一步棋(One False Move...)》一文中批判該藝術家去年底於紐約PS1中推出的同名個展,影射藝術家預設立場過於明顯,期待大眾反應的意圖濃厚,因此部份展出作品顯得做作,讓人難以信服,相當遺憾。或許正是因為此一指控,所以阿伯迪森敏在本展開幕面對記者之際,採取著相當慎言且冷漠的態度,在面對記者提出某些關於國家認同的敏感議題時,避重就輕不正面地回答問題的原因之一。基本上這兩場同名展中均展出以下兩件作品《有其母必有其子(Telle mère, tel fils)》與《相信我(Trust Me)》。前者是一件用三組飛機頭與機尾,用充氣的布身串連起來,交錯堆疊的巨型裝置。在娓娓道出孩童時代艱踞的生活環境,以及母愛的關懷,藝術家在此透過失去機身的飛機說出失根的異鄉人如何自我認同的問題,也表達出藝術家流浪法國,與母親分離的生活現狀,並指涉在全球化的潮流下,國家與民族意識還可以有什樣的意義與形式。後者則是一件錄像作品,畫面上呈現出一個滿頭灰髮的男子,立身在一寬廣看似廢墟的工地前,口露有如吸血鬼般的利牙,如神鬼附身般激動地高歌著令人難懂、五音不全的各國國歌片段,質疑國家認同之於自我認同,大我與小我之間的衝突。
《相信我(Trust Me)》, 2007
錄像投影裝置, 56 分鐘, 自動反覆播放
Courtesy of Artist and David Zwirner, New York
Magasin Centre National d'Art Contemporain
無論我們是否可以認同去年威尼斯雙年展知名策展人的批判(該文標題或許過於強烈),然總觀本展中的十件作品中,我們的確感到其它如探討宗教信念,藝術家稱之為「啟示錄(Apocalypse)」的錄像暨多媒材作品《阿拉如是說(Also sprach Allah)》、又如挑戰身體所可承受的極限,也指涉尼采「超人」論的錄像暨多媒材作品《直昇機(Helikoptère)》、或者最後一件攝影暨霓光燈組作品,同時質疑人與動物之間,男與女權平等之間,甚或挑戰傳統之多層次訴求與創作意圖的《當一隻動物是你的攝影師,什麼事都有可能發生(Anything can happen when an animal is your cmeraman)》;這三件作品均有理論立足點不甚明確,表達手法過於「自發性」,而缺乏其它創作中一貫的「爆發性」特質,反而流於膚淺(simplistic)的反效果。
《當一隻動物是你的攝影師,什麼事都有可能發生》, 19,5 x 2,3 公尺, 霓光燈管, 2008
Courtesy of Artist and David Zwirner, New York
Magasin Centre National d'Art Contemporain
Photo : écran voilé
每個行為都與當下息息相關 Every act is present
然無論如何,年僅三十六歲,從阿伯迪森敏一貫以來的創作中我們可以清楚地看到藝術家長年以來關懷的議題從未改變,甚至有更為激烈的表現,這與藝術家的身份背景有著絕對性的關係。堅信「赤裸裸」地呈現出當今社會中一系列尚未獲得解決的國際、社會與人文問題才是藝術的標靶(target),這或許也是阿伯迪森敏決定成為藝術家的最初動機。身為被殖民人民的後裔,阿伯迪森敏在提到關於國家認同、個體認同、大我小我等議題時,其話語背後都還會令人感受到殖民者與被殖民者之間複雜的愛恨情懷。然亞德爾.阿伯迪森敏決定將歷史悲劇「置於」當今世界情勢的架構下,一如芬蘭藝術家艾嘉-麗莎.安提拉的裝置作品,兩位藝術家各自以不同的方式正視今天還待解決的戰爭與暴力現狀。我們不禁想到就在〈何處是何方?〉一片中,回應男孩的指控與自辨,三位心理學家之一說出的這句話「每個行為都與當下息息相關」。
Artbar:
亞德爾.阿伯迪森敏個展(Adel Abdessemed)
《勾勒人文園地(Drawing for Human Park)》
展期:03 Fev. - 27 April, 2008
展場:法國Magasin國立當代藝術中心
網站:www.magasin-cnac.org/
艾嘉-麗莎.安提拉個展(Eija-Liisa Ahtila)
展期:22 Jan. - 30 March, 2008
展場:法國網球場國家藝廊(National Gallery of Jeu de Paume)
網站:www.jeudepaume.org/
dimanche, février 03, 2008
vendredi, février 01, 2008
Museum Business – Part II (french version)
L’année dernière (notre édition du janvier 2007 « Museum business »), nous avions évoqué l’accord passé entre la France et les Emirats Arabes Unis, piloté par l’ancien Ministre de la Culture français Renaud Donnedieu de Vabres, pour la construction d’un Louvre des sables dans la capitale Abou Dhabi. Prévu d’ouvrir ses portes en 2013, ce projet avait par ailleurs suscité une polémique virulente au sein du monde culturel français, polémique qui se poursuit encore aujourd’hui. Un an après, à la suite d’une visite récente du Président français Nicolas Sarkozy et de l’actuel Ministre de la Culture Christine Albanel, un contrat a été signé par le Président du TDIC (Tourism Development and Investment Company) Cheikh Sultan Bin Tahnoun et le directeur général de l’agence France-Muséums. Cet accord prévoit 327 prestations qui seront réalisées dans les vingt ans à venir. C’est l’occasion pour nous de revenir sur ce sujet.
L’Agence France-Muséums
L’Agence France-Muséums, société créée spécifiquement pour mener à bien ce projet, mérite une présentation en raison de ses grandes responsabilités, mais aussi de son statut juridique. Société de droit privé, à la différence de celle du secteur commercial, elle réunie les 12 établissements publics français en tant qu’actionnaires. C’est une façon pour l’agence d’alléger le processus complexe et rigide de l’administration publique de manière à ne pas freiner l’avancement du projet, et pour les musées, elle permet également d’équilibrer les forces entre les deux partis dans le processus décisionnel.
Les chiffres
Le musée prévu se développera sur une superficie de 24 000 mètres carrés dont 6 000 pour la collection permanente et 2 000 pour les expositions temporaires, mais aussi une salle de conférence, une librairie spécialisée, un centre éducatif, un restaurant, un café et un laboratoire scientifique de conservation. La maîtrise d’œuvre du futur musée des sables est confiée à l’architecte français Jean Nouvel.
Le premier élément qui nous intéresse particulièrement dans ce projet pharaonique est évidemment l’accord lui-même et les chiffres détaillés qu’il contient , en premier lieu, l’engagement des deux Etats pour une durée de 30 ans et pour un milliard d’euros (47milliards TWD/ 10,6milliards Renminbi environs). Selon l’accord, le montant d’un milliard d’euros que les Emirats s’apprêtent à verser à la France sera réparti selon différentes phases et pour des opérations variées. En premier lieu, le budget de fonctionnement de l’Agence France-Muséums représente 165 millions d’euros (780 millions TWD/ 170 millions Renminbi environs). Elle sera, sur toute la durée de l’accord, l’interlocuteur exclusif des Emirats pour le compte de ses douze actionnaires, à savoir, le Musée du Louvre, l’Ecole du Louvre, le Musée du Quai Branly, le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay, le Musée Guimet, , le Musée Rodin, la Bibliothèque Nationale de France, le Musée et domaine de Versailles, la Réunion des Musées Nationaux, le Domaine national de Chambord et l’EPMOTC (Etablissement Public de la Maîtrise d’Ouvrage des Travaux Culturels.
30 ans d’engagement
Quant à la durée de 30 ans d’engagement, elle ne concerne en réalité que l’utilisation du nom de « LOUVRE » pour ce nouveau musée par ailleurs qualifié d’« universel ». La somme est « évaluée », selon le terme employé par le directeur de l’agence, à 400 millions d’euros (890 millions TWD/ 200 millions Renminbi environs). L’accord signifie également que les Emirats ne pourront profiter de l’aura de cette appellation « LOUVRE » que pour les trente années à venir, le temps de promouvoir leur futur quartier culturel et touristique, et qu’au-delà de la durée du contrat, ils seront contraints de trouver un autre nom à leur musée.
Pour les autres opérations prévues au contrat, les prêts des œuvres issues des collections publiques françaises et provenant des musées actionnaires se limiteront à une durée de 10 ans maximum, répartie en trois temps : 300 œuvres pour les trois premières années, 250 œuvres à partir de la quatrième année et 200 œuvres pour les 3 dernières années, chaque prêt d’œuvre étant limité à une durée de 6 mois à 2 ans maximum.
En parallèle, les experts français ont aussi pour mission de conseiller les EAU pour constituer la collection du musée et d’organiser les expositions pour les vingt années à venir. Pour se faire, un fond de 40 millions d’euros (190 millions TWD/ 42 millions Renminbi environs) par an a été prévu pour l’acquisition des œuvres. Un budget de 13 millions d’euros par an, soit au total 195 millions d’euros (910 millions TWD/ 200 millions Renminbi environs) pour 15 ans, est prévu pour l’organisation des expositions, hors frais d’assurance. En un mot, le Louvre Abu Dhabi sera un musée conçu par les Français, mis en œuvre par les Français, dont le contenu sera défini par les Français ; un musée à la française mais situé hors de France. La gestion et le fonctionnement futurs du musée seront en revanche de la pleine responsabilité des Emirats.
Première polémique : pourquoi le Louvre a-t-il accepté ce projet ?
Depuis l’annonce officielle faite par le Ministère de la Culture, l’affaire a suscité une polémique ininterrompue et a soulevé de nombreux questionnements éthiques au sein du milieu professionnel français. Tout d’abord, pourquoi le Louvre a-t-il accepté ce projet ? La diversité des déclarations nous empêchent d’y voir clair. D’un côté nous notons la déclaration officielle du gouvernement français qui justifie ainsi le projet : « en réponse aux violences du monde, et pour affirmer la spécificité et la diversité des œuvres de l’art et de l’esprit, ainsi que la force universelle de la liberté de création » . Notons aussi la défense de l’ancien ministre de la culture français Jack Lang dans le journal Libération : « Mais ne jouons pas les vierges effarouchées… Il est heureux que les Français se battent pour que notre conception soit présente. Entre la marchandisation du show-biz qui inonde les cerveaux, et la puissance américaine, la France (et son universalisme) doit jouer sa partition internationale. » . De l’autre côté, la polémique a été lancée par trois conservateurs français déclarant : «Le musée n’est pas à vendre » .
Deuxième polémique : L’île du bonheur
Le Louvre Abu Dhabi sera installé sur une île nommée Saadiyat Island, « L’île du bonheur ». Hormis les cinq musées déjà prévus sur cette île paradisiaque, un Guggenheim Abu Dhabi par l’architecte Frank Gehry, un Performing Arts Centre par Zaha Hadid, un Maritime Museum par Tadao Ando et un Musée National par Norman Foster, on y trouvera également plusieurs hôtels et ressorts de luxe, un parc d’attractions, un terrain de golf et des casinos. C’est précisément ce caractère commercial qui, aux yeux des conservateurs français, marque le déclin des valeurs esthétiques et éthiques de l’art et des musées au profit d’une société du spectacle s’organisant à la manière d’un Disneyland. L’argent est-il devenu la valeur suprême ? Tout peut-il se vendre, même le nom du LOUVRE ? Cette polémique n’est peut-être qu’un faux débat. Car la ville où loge le Louvre authentique, Paris, la ville la plus visitée du monde, n’est-elle pas aussi considérée comme la meilleure destination touristique d’aujourd’hui ? Des milliers de visiteurs y passent chaque jour et ils ne manquent pas, même lors d’un court séjour, la visite au Louvre, souvent pour une ou deux heures, au moins le temps d’une visite à la fameuse Joconde de Leonardo de Vinci avant de filer vers le prochain temple du sacré contemporain. Il n’est pas inutile de rappeler que les retombées économiques induites par le tourisme constituent une part importante de leur recette et sont d’ores et déjà considérées comme une donne importante dans le développement et la stratégie des musées.
Troisième polémique : Le prêt des œuvres doit-il suivre la demande du public
Mais le plus inquiétant dans ce projet est peut-être plutôt de l’ordre de l’appréciation esthétique dans une société où le goût de l’art est radicalement différent de celui des publics occidentaux. Si l’art français, ou plus exactement l’ensemble des courants et manifestations artistiques que la France a permis de voir se développer sur son sol durant des siècles, mérite sa renommé internationale, c’est, d’une part le résultat d’une attention et d’une protection particulière de ses gouvernements successifs, mais c’est aussi grâce à la volonté et à l’engagement de ces nombreux artistes dont la liberté et l’ouverture d’esprit ont trouvé dans la société française un terrain favorable et un soutient à la création, et ce en dehors de tout point de vue moral. Situées au Proche-Orient, issues d’un régime monarchique, la culture et la religion du monde arabe, et notamment des Emirats, sont avant tout basées sur la croyance islamique. Même si la globalisation tend à niveler les diversités culturelles et si des pays comme les Emirats, particulièrement tournés vers le libéralisme économique sont peu sensibles à l’extrémisme, cette constitution de la société suscite néanmoins quelques questionnements en termes de morale religieuse, de mœurs, de statut des femmes, et de traditions concernant la représentation iconographies. Dans l’entretien qu’il nous a accordé , M. Bruno Maquart précise que la liste de prêt des œuvres est pour l’instant en cours d’élaboration. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que certaines œuvres d’art trop fragiles comme la Joconde ne sortiront jamais plus du territoire français . Par ailleurs, M. Maquart, a confirmé à plusieurs reprises, que « les Emirats font une confiance totale aux Français » quant aux choix des œuvres et des expositions. Cette confiance nous incite néanmoins à réfléchir à la raison pour laquelle les Emirats décident de construire un quartier culturel regroupant cinq musées si les contenus leur importent peu ? La réponse semble se trouver dans l’interview que le président de TDIC a accordée à un journaliste du Monde : « Mon critère est pragmatique. Nous voulons attirer le maximum de visiteurs dans nos musées. Nous tiendrons compte de nos contraintes culturelles. Mais, peu à peu, le marché triomphera. » . On le voit, cette question est complexe et il faut sans doute se garder de toute analyse manichéenne ; à l’image de notre société mondialisée, se côtoient ici, de bonnes et de mauvaises raisons, des choix dictés par des critères culturels, artistiques et éthiques (faire partager des œuvres et des savoirs-faires) mais aussi des choix dictés par des critères politiques et surtout économiques et ce de la part des deux pays. Mais, en un mot : « le marché triomphera » !
Quatrième polémique : L’effet de marque
Nous avons ensuite posé à M. Maquart la question de savoir « pourquoi les Emirats insistent sur l’utilisation du nom LOUVRE ? ». En effet, selon l’accord, les expositions qui y seront présentées ne se limitent pas aux collections du Louvre ; elles dépassent même largement, avec les douze musées associés, les domaines de l’art classique : art moderne et contemporain provenant du Centre Pompidou, art anthropologique provenant du Musée Quai Branly ou art asiatique du Musée Guimet, notamment. Dans une telle perspective, il nous semblait plus approprié de nommer ce futur musée « Musée de France ». M. Maquart ne nous donne qu’une réponse implicite : « vous devriez le savoir », sans développer davantage. L’intention semble évidente : l’effet de marque. La conclusion faite par le président de TDIC dans le Monde, est elle-même très claire : ce qui intéresse les Emirats dans cette nouvelle aventure, ce sont plus les retombées économiques, touristiques et en termes d’image de ce « musée universel », que son contenu. Mais une fois encore, ne soyons pas manichéens et efforçons nous de croire, dans la société du gagnant-gagnant dans laquelle nous vivons, que l’un n’empêche pas l’autre.
Entre éducation esthétique et valeur économique
Efforçons nous également un instant de changer de point de vue et de tirer le bilan d’autres expériences qui, si elles n’ont pas la dimension et la portée de ce projet, font tout de même figurent de pionnières. Le succès incontestable du Guggenheim Bilbao en Espagne ou de la Foire d’Art Basel Miami aux Etats-Unis, exemples innovants d’implantation d’antennes à l’étranger ont véritablement changé l’image de villes, anonyme et industrielle pour Bilbao, frivole et tournée vers l’industrie du divertissement pour Miami. Ces villes qui, à l’origine, n’ont que très peu de rapport avec le monde de l’art, sont devenues les métropoles culturelles du moment. Ces expériences, renforcées par la montée en puissance de la mondialisation, ont contribué à élaborer une nouvelle stratégie muséale de « l’exportation du savoir-faire » à des fins économiques.
Il n’est pas inutile de mentionner que le projet du LOUVRE n’a pas rencontré en France que des oppositions. Un certain nombre de personnalités et de conservateurs Français soutiennent ce projet et y voient la meilleure occasion pour la France de transmettre son expérience et ses connaissances anciennes en termes de gestion muséale. Au reste, trente ans de contrat signifient trente ans de garantie et de suivi du projet et l’association de l’Ecole du Louvre, tout comme le nouveau campus de la Sorbonne Abu Dhabi fraîchement installé semblent montrer qu’il s’agit bien d’un projet global, éducatif et culturel dont le but est également de palier aux manques en termes d’éducation en l’histoire de l’art, de muséologie et de gestion muséale dans le pays dans les Emirats. Comme le souligne M. Maquart, « l’Agence France-Muséums participera à la formation du personnel spécialisé du Louvre Abou Dhabi dans le but de contribuer à l’émergence d’une expertise émirienne, dans les domaines scientifiques et techniques. »
Une nouvelle capitale du marché de l’art
Avant de terminer notre entretien, M. Maquart a évoqué la première foire organisée en novembre dernier à Abu Dhabi par ArtParis. Ce fait semble signifier que le projet du LOUVRE n’est pas isolé et fait partie d’une stratégie plus globale visant à créer une nouvelle capitale du marché de l’art intimement liée à la capitale française. Une manière peut-être aussi pour la France de retrouver une place prépondérante dans le marché mondial dont on dit qu’elle l’a depuis longtemps perdue. En effet, la première foire ArtParis Abu Dhabi a réuni 47 galeries, majoritairement françaises. Avec 9000 visiteurs, cette foire affiche un chiffre d’affaires de l’ordre de 15 millions de dollars et un avenir très prometteur. Au-delà de ces chiffres, la description de l’événement par la journaliste Valerie Duponchelle dans le Figaro ne manque pas d’une certaine ironie : « Mardi matin, le ballroom doré de l’Emirates Palace était vidé de tous ses hommes, vigiles compris. Sa majesté SA la Cheikha Salama, sylphide délicate comme sa robe du soir perle entraperçue sous la longue tunique noire, venait visiter en privé ArtParis Abu Dhabi avec trois de ses cinq filles. Décidée et enjouée, la princesse collectionneuse (…) a sidéré les galeristes femmes, seules autorisées à rester sur leurs stands, par son appétit d’art, frais, spontané et sans aucunes limites budgétaires. »
Heureusement, nous pouvons être assurés que ce genre de scène ne se produira pas en Chine ! L’ArtParis a récemment annoncé la création d’une nouvelle foire d’art internationale à Shenzhen, une ville au sud de la Chine, en 2009. Elle sera aussi le deuxième étage de l’ArtParis sur la scène internationale. Après Abu Dhabi, confiant dans le potentiel économique de cette ville chinoise en pleine expansion, l’événement s’annonce très prometteur. Affaire à suivre.
Le débat français ne doit pas seulement être regardé comme un débat local et semble bien être symbolique des questions éthiques suscitées par la mondialisation et le cynisme économique actuel. La France vit-elle les derniers tiraillements internes nés de ses propres difficultés d’adaptation au monde contemporain ? Doit-elle prendre sa part du gâteau de la mondialisation du monde de l’art au prix de l’abandon de certains principes ? L’art ne triomphera-t-il le marché ? Ou bien doit-elle jouer une fois de plus le rôle de sentinelle ou de phare face à l’absurdité d’un marché culturel franchisé? Ces échanges culturels, fussent-ils monétisés, peuvent-ils s’accompagner de bienfaits démocratiques et participent-ils d’un partage de l’esprit de création et de liberté qui caractérise l’art ? L’avenir le dira peut-être.
Artbar :
Agence France-Muséums
www.agencefrancemuseums.fr
M. Bruno Maquart, Directeur Général de l’Agence France-Muséums.
Diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration, après avoir été, de 1997 à 2000, un proche collaborateur de Mme. Martine Aubry, ancien Ministre de l’emploi et de la solidarité, qui l’a nommé directeur-adjoint de son cabinet, Bruno Maquart a assumé la fonction de Directeur Général pendant six ans au Centre Pompidou avant d’être nommé Directeur Général de l’Agence France-Muséums.
Musée du Louvre
www.louvre.fr
Le Louvre Abu Dhabi est prévu d’ouvrir ses portes en 2013. A ce jour, les travaux de construction n’ont pas encore commencé.
L’ïle Saadiyat (L’île du bonheur)
www.saadiyat.ae
Située à 500 mètres du centre d’ Abu Dhabi, le chantier prendra fin dans 15 ans et présentera sept districts différents :
- Le Cultural District contiendra les cinq musées internationaux
- Saadiyat Beach couvrira 433 hectares comprenant une plage naturelle de 9 kilomètres, des hôtels cinq étoiles et des clubs privés
- South Beach couvrira 268 hectares visant à développer les activités familiales en proposant des centres d’animation et des restaurants et cafés divers.
- The Wetlands couvrira 523 hectares comprenant un terrain de golf, des résidences de luxe et un centre d’écologie.
- Island Lagoons couvrira 600 hectares comprenant des résidences de luxe, un parc d’attraction et un centre d’équitation.
- Al Marina couvrira 440 hectares avec une capacité de plus de 1000 bateaux, plusieurs boutiques et résidences de luxe.
- Eco-Point couvrira 433 hectares comprenant des hôtels, des restaurants et des ressorts.
Ministère de la Culture et de la Communication de la République Française
www.culture.gouv.fr/
Ateliers Jean Nouvel
www.jeannouvel.com
ArtParis Abu Dhabi
www.artparis-abudhabi.com/
1. Cet accord a été signé au mois de mars 2007 et est téléchargeable sur le site du Ministère de la Culture.
2. Discours de l’ancien Ministre de la Culture français Renaud Donnedieu de Vabres, http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-abudhabi2007.htm
3. Propos recueillis par Nathalie Bensahel, Libération du 6 janvier 2007.
4. Déclaration des trois conservateurs français Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dans le Monde du 13 Décembre 2006, mise en ligne par La Tribune de l’Art, http://www.latribunedelart.com/text_monde.htm
5. Entretien réalisé le 18 janvier 2008, à Paris.
6. Il est intéressant de noter que, dans un entretien pour l’émission « Masse Critique » de France Culture, M. Maquart a déclaré : « évidemment on n’exposera pas tout de suite « L’origine du monde » du peintre français Gustave Courbet », Nous supposons qu’il sous-entendait que c’était en raison de son caractère trop provocant aux yeux du public des Emirats.
7. Propos recueillis par Nathaniel Herzberg au président de TDIC (Tourism Development and Investment Company) Cheikh Sultan Bin Tahnoun, le Monde, 8 janvier 2008.
8. Valérie Duponchelle, « Le talent français se vend au pays des 1001 nuits », Le Figaro, 30 novembre 2007.
L’Agence France-Muséums
L’Agence France-Muséums, société créée spécifiquement pour mener à bien ce projet, mérite une présentation en raison de ses grandes responsabilités, mais aussi de son statut juridique. Société de droit privé, à la différence de celle du secteur commercial, elle réunie les 12 établissements publics français en tant qu’actionnaires. C’est une façon pour l’agence d’alléger le processus complexe et rigide de l’administration publique de manière à ne pas freiner l’avancement du projet, et pour les musées, elle permet également d’équilibrer les forces entre les deux partis dans le processus décisionnel.
Les chiffres
Le musée prévu se développera sur une superficie de 24 000 mètres carrés dont 6 000 pour la collection permanente et 2 000 pour les expositions temporaires, mais aussi une salle de conférence, une librairie spécialisée, un centre éducatif, un restaurant, un café et un laboratoire scientifique de conservation. La maîtrise d’œuvre du futur musée des sables est confiée à l’architecte français Jean Nouvel.
Le premier élément qui nous intéresse particulièrement dans ce projet pharaonique est évidemment l’accord lui-même et les chiffres détaillés qu’il contient , en premier lieu, l’engagement des deux Etats pour une durée de 30 ans et pour un milliard d’euros (47milliards TWD/ 10,6milliards Renminbi environs). Selon l’accord, le montant d’un milliard d’euros que les Emirats s’apprêtent à verser à la France sera réparti selon différentes phases et pour des opérations variées. En premier lieu, le budget de fonctionnement de l’Agence France-Muséums représente 165 millions d’euros (780 millions TWD/ 170 millions Renminbi environs). Elle sera, sur toute la durée de l’accord, l’interlocuteur exclusif des Emirats pour le compte de ses douze actionnaires, à savoir, le Musée du Louvre, l’Ecole du Louvre, le Musée du Quai Branly, le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay, le Musée Guimet, , le Musée Rodin, la Bibliothèque Nationale de France, le Musée et domaine de Versailles, la Réunion des Musées Nationaux, le Domaine national de Chambord et l’EPMOTC (Etablissement Public de la Maîtrise d’Ouvrage des Travaux Culturels.
30 ans d’engagement
Quant à la durée de 30 ans d’engagement, elle ne concerne en réalité que l’utilisation du nom de « LOUVRE » pour ce nouveau musée par ailleurs qualifié d’« universel ». La somme est « évaluée », selon le terme employé par le directeur de l’agence, à 400 millions d’euros (890 millions TWD/ 200 millions Renminbi environs). L’accord signifie également que les Emirats ne pourront profiter de l’aura de cette appellation « LOUVRE » que pour les trente années à venir, le temps de promouvoir leur futur quartier culturel et touristique, et qu’au-delà de la durée du contrat, ils seront contraints de trouver un autre nom à leur musée.
Pour les autres opérations prévues au contrat, les prêts des œuvres issues des collections publiques françaises et provenant des musées actionnaires se limiteront à une durée de 10 ans maximum, répartie en trois temps : 300 œuvres pour les trois premières années, 250 œuvres à partir de la quatrième année et 200 œuvres pour les 3 dernières années, chaque prêt d’œuvre étant limité à une durée de 6 mois à 2 ans maximum.
En parallèle, les experts français ont aussi pour mission de conseiller les EAU pour constituer la collection du musée et d’organiser les expositions pour les vingt années à venir. Pour se faire, un fond de 40 millions d’euros (190 millions TWD/ 42 millions Renminbi environs) par an a été prévu pour l’acquisition des œuvres. Un budget de 13 millions d’euros par an, soit au total 195 millions d’euros (910 millions TWD/ 200 millions Renminbi environs) pour 15 ans, est prévu pour l’organisation des expositions, hors frais d’assurance. En un mot, le Louvre Abu Dhabi sera un musée conçu par les Français, mis en œuvre par les Français, dont le contenu sera défini par les Français ; un musée à la française mais situé hors de France. La gestion et le fonctionnement futurs du musée seront en revanche de la pleine responsabilité des Emirats.
Première polémique : pourquoi le Louvre a-t-il accepté ce projet ?
Depuis l’annonce officielle faite par le Ministère de la Culture, l’affaire a suscité une polémique ininterrompue et a soulevé de nombreux questionnements éthiques au sein du milieu professionnel français. Tout d’abord, pourquoi le Louvre a-t-il accepté ce projet ? La diversité des déclarations nous empêchent d’y voir clair. D’un côté nous notons la déclaration officielle du gouvernement français qui justifie ainsi le projet : « en réponse aux violences du monde, et pour affirmer la spécificité et la diversité des œuvres de l’art et de l’esprit, ainsi que la force universelle de la liberté de création » . Notons aussi la défense de l’ancien ministre de la culture français Jack Lang dans le journal Libération : « Mais ne jouons pas les vierges effarouchées… Il est heureux que les Français se battent pour que notre conception soit présente. Entre la marchandisation du show-biz qui inonde les cerveaux, et la puissance américaine, la France (et son universalisme) doit jouer sa partition internationale. » . De l’autre côté, la polémique a été lancée par trois conservateurs français déclarant : «Le musée n’est pas à vendre » .
Deuxième polémique : L’île du bonheur
Le Louvre Abu Dhabi sera installé sur une île nommée Saadiyat Island, « L’île du bonheur ». Hormis les cinq musées déjà prévus sur cette île paradisiaque, un Guggenheim Abu Dhabi par l’architecte Frank Gehry, un Performing Arts Centre par Zaha Hadid, un Maritime Museum par Tadao Ando et un Musée National par Norman Foster, on y trouvera également plusieurs hôtels et ressorts de luxe, un parc d’attractions, un terrain de golf et des casinos. C’est précisément ce caractère commercial qui, aux yeux des conservateurs français, marque le déclin des valeurs esthétiques et éthiques de l’art et des musées au profit d’une société du spectacle s’organisant à la manière d’un Disneyland. L’argent est-il devenu la valeur suprême ? Tout peut-il se vendre, même le nom du LOUVRE ? Cette polémique n’est peut-être qu’un faux débat. Car la ville où loge le Louvre authentique, Paris, la ville la plus visitée du monde, n’est-elle pas aussi considérée comme la meilleure destination touristique d’aujourd’hui ? Des milliers de visiteurs y passent chaque jour et ils ne manquent pas, même lors d’un court séjour, la visite au Louvre, souvent pour une ou deux heures, au moins le temps d’une visite à la fameuse Joconde de Leonardo de Vinci avant de filer vers le prochain temple du sacré contemporain. Il n’est pas inutile de rappeler que les retombées économiques induites par le tourisme constituent une part importante de leur recette et sont d’ores et déjà considérées comme une donne importante dans le développement et la stratégie des musées.
Troisième polémique : Le prêt des œuvres doit-il suivre la demande du public
Mais le plus inquiétant dans ce projet est peut-être plutôt de l’ordre de l’appréciation esthétique dans une société où le goût de l’art est radicalement différent de celui des publics occidentaux. Si l’art français, ou plus exactement l’ensemble des courants et manifestations artistiques que la France a permis de voir se développer sur son sol durant des siècles, mérite sa renommé internationale, c’est, d’une part le résultat d’une attention et d’une protection particulière de ses gouvernements successifs, mais c’est aussi grâce à la volonté et à l’engagement de ces nombreux artistes dont la liberté et l’ouverture d’esprit ont trouvé dans la société française un terrain favorable et un soutient à la création, et ce en dehors de tout point de vue moral. Situées au Proche-Orient, issues d’un régime monarchique, la culture et la religion du monde arabe, et notamment des Emirats, sont avant tout basées sur la croyance islamique. Même si la globalisation tend à niveler les diversités culturelles et si des pays comme les Emirats, particulièrement tournés vers le libéralisme économique sont peu sensibles à l’extrémisme, cette constitution de la société suscite néanmoins quelques questionnements en termes de morale religieuse, de mœurs, de statut des femmes, et de traditions concernant la représentation iconographies. Dans l’entretien qu’il nous a accordé , M. Bruno Maquart précise que la liste de prêt des œuvres est pour l’instant en cours d’élaboration. Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que certaines œuvres d’art trop fragiles comme la Joconde ne sortiront jamais plus du territoire français . Par ailleurs, M. Maquart, a confirmé à plusieurs reprises, que « les Emirats font une confiance totale aux Français » quant aux choix des œuvres et des expositions. Cette confiance nous incite néanmoins à réfléchir à la raison pour laquelle les Emirats décident de construire un quartier culturel regroupant cinq musées si les contenus leur importent peu ? La réponse semble se trouver dans l’interview que le président de TDIC a accordée à un journaliste du Monde : « Mon critère est pragmatique. Nous voulons attirer le maximum de visiteurs dans nos musées. Nous tiendrons compte de nos contraintes culturelles. Mais, peu à peu, le marché triomphera. » . On le voit, cette question est complexe et il faut sans doute se garder de toute analyse manichéenne ; à l’image de notre société mondialisée, se côtoient ici, de bonnes et de mauvaises raisons, des choix dictés par des critères culturels, artistiques et éthiques (faire partager des œuvres et des savoirs-faires) mais aussi des choix dictés par des critères politiques et surtout économiques et ce de la part des deux pays. Mais, en un mot : « le marché triomphera » !
Quatrième polémique : L’effet de marque
Nous avons ensuite posé à M. Maquart la question de savoir « pourquoi les Emirats insistent sur l’utilisation du nom LOUVRE ? ». En effet, selon l’accord, les expositions qui y seront présentées ne se limitent pas aux collections du Louvre ; elles dépassent même largement, avec les douze musées associés, les domaines de l’art classique : art moderne et contemporain provenant du Centre Pompidou, art anthropologique provenant du Musée Quai Branly ou art asiatique du Musée Guimet, notamment. Dans une telle perspective, il nous semblait plus approprié de nommer ce futur musée « Musée de France ». M. Maquart ne nous donne qu’une réponse implicite : « vous devriez le savoir », sans développer davantage. L’intention semble évidente : l’effet de marque. La conclusion faite par le président de TDIC dans le Monde, est elle-même très claire : ce qui intéresse les Emirats dans cette nouvelle aventure, ce sont plus les retombées économiques, touristiques et en termes d’image de ce « musée universel », que son contenu. Mais une fois encore, ne soyons pas manichéens et efforçons nous de croire, dans la société du gagnant-gagnant dans laquelle nous vivons, que l’un n’empêche pas l’autre.
Entre éducation esthétique et valeur économique
Efforçons nous également un instant de changer de point de vue et de tirer le bilan d’autres expériences qui, si elles n’ont pas la dimension et la portée de ce projet, font tout de même figurent de pionnières. Le succès incontestable du Guggenheim Bilbao en Espagne ou de la Foire d’Art Basel Miami aux Etats-Unis, exemples innovants d’implantation d’antennes à l’étranger ont véritablement changé l’image de villes, anonyme et industrielle pour Bilbao, frivole et tournée vers l’industrie du divertissement pour Miami. Ces villes qui, à l’origine, n’ont que très peu de rapport avec le monde de l’art, sont devenues les métropoles culturelles du moment. Ces expériences, renforcées par la montée en puissance de la mondialisation, ont contribué à élaborer une nouvelle stratégie muséale de « l’exportation du savoir-faire » à des fins économiques.
Il n’est pas inutile de mentionner que le projet du LOUVRE n’a pas rencontré en France que des oppositions. Un certain nombre de personnalités et de conservateurs Français soutiennent ce projet et y voient la meilleure occasion pour la France de transmettre son expérience et ses connaissances anciennes en termes de gestion muséale. Au reste, trente ans de contrat signifient trente ans de garantie et de suivi du projet et l’association de l’Ecole du Louvre, tout comme le nouveau campus de la Sorbonne Abu Dhabi fraîchement installé semblent montrer qu’il s’agit bien d’un projet global, éducatif et culturel dont le but est également de palier aux manques en termes d’éducation en l’histoire de l’art, de muséologie et de gestion muséale dans le pays dans les Emirats. Comme le souligne M. Maquart, « l’Agence France-Muséums participera à la formation du personnel spécialisé du Louvre Abou Dhabi dans le but de contribuer à l’émergence d’une expertise émirienne, dans les domaines scientifiques et techniques. »
Une nouvelle capitale du marché de l’art
Avant de terminer notre entretien, M. Maquart a évoqué la première foire organisée en novembre dernier à Abu Dhabi par ArtParis. Ce fait semble signifier que le projet du LOUVRE n’est pas isolé et fait partie d’une stratégie plus globale visant à créer une nouvelle capitale du marché de l’art intimement liée à la capitale française. Une manière peut-être aussi pour la France de retrouver une place prépondérante dans le marché mondial dont on dit qu’elle l’a depuis longtemps perdue. En effet, la première foire ArtParis Abu Dhabi a réuni 47 galeries, majoritairement françaises. Avec 9000 visiteurs, cette foire affiche un chiffre d’affaires de l’ordre de 15 millions de dollars et un avenir très prometteur. Au-delà de ces chiffres, la description de l’événement par la journaliste Valerie Duponchelle dans le Figaro ne manque pas d’une certaine ironie : « Mardi matin, le ballroom doré de l’Emirates Palace était vidé de tous ses hommes, vigiles compris. Sa majesté SA la Cheikha Salama, sylphide délicate comme sa robe du soir perle entraperçue sous la longue tunique noire, venait visiter en privé ArtParis Abu Dhabi avec trois de ses cinq filles. Décidée et enjouée, la princesse collectionneuse (…) a sidéré les galeristes femmes, seules autorisées à rester sur leurs stands, par son appétit d’art, frais, spontané et sans aucunes limites budgétaires. »
Heureusement, nous pouvons être assurés que ce genre de scène ne se produira pas en Chine ! L’ArtParis a récemment annoncé la création d’une nouvelle foire d’art internationale à Shenzhen, une ville au sud de la Chine, en 2009. Elle sera aussi le deuxième étage de l’ArtParis sur la scène internationale. Après Abu Dhabi, confiant dans le potentiel économique de cette ville chinoise en pleine expansion, l’événement s’annonce très prometteur. Affaire à suivre.
Le débat français ne doit pas seulement être regardé comme un débat local et semble bien être symbolique des questions éthiques suscitées par la mondialisation et le cynisme économique actuel. La France vit-elle les derniers tiraillements internes nés de ses propres difficultés d’adaptation au monde contemporain ? Doit-elle prendre sa part du gâteau de la mondialisation du monde de l’art au prix de l’abandon de certains principes ? L’art ne triomphera-t-il le marché ? Ou bien doit-elle jouer une fois de plus le rôle de sentinelle ou de phare face à l’absurdité d’un marché culturel franchisé? Ces échanges culturels, fussent-ils monétisés, peuvent-ils s’accompagner de bienfaits démocratiques et participent-ils d’un partage de l’esprit de création et de liberté qui caractérise l’art ? L’avenir le dira peut-être.
Artbar :
Agence France-Muséums
www.agencefrancemuseums.fr
M. Bruno Maquart, Directeur Général de l’Agence France-Muséums.
Diplômé de l’Ecole Nationale d’Administration, après avoir été, de 1997 à 2000, un proche collaborateur de Mme. Martine Aubry, ancien Ministre de l’emploi et de la solidarité, qui l’a nommé directeur-adjoint de son cabinet, Bruno Maquart a assumé la fonction de Directeur Général pendant six ans au Centre Pompidou avant d’être nommé Directeur Général de l’Agence France-Muséums.
Musée du Louvre
www.louvre.fr
Le Louvre Abu Dhabi est prévu d’ouvrir ses portes en 2013. A ce jour, les travaux de construction n’ont pas encore commencé.
L’ïle Saadiyat (L’île du bonheur)
www.saadiyat.ae
Située à 500 mètres du centre d’ Abu Dhabi, le chantier prendra fin dans 15 ans et présentera sept districts différents :
- Le Cultural District contiendra les cinq musées internationaux
- Saadiyat Beach couvrira 433 hectares comprenant une plage naturelle de 9 kilomètres, des hôtels cinq étoiles et des clubs privés
- South Beach couvrira 268 hectares visant à développer les activités familiales en proposant des centres d’animation et des restaurants et cafés divers.
- The Wetlands couvrira 523 hectares comprenant un terrain de golf, des résidences de luxe et un centre d’écologie.
- Island Lagoons couvrira 600 hectares comprenant des résidences de luxe, un parc d’attraction et un centre d’équitation.
- Al Marina couvrira 440 hectares avec une capacité de plus de 1000 bateaux, plusieurs boutiques et résidences de luxe.
- Eco-Point couvrira 433 hectares comprenant des hôtels, des restaurants et des ressorts.
Ministère de la Culture et de la Communication de la République Française
www.culture.gouv.fr/
Ateliers Jean Nouvel
www.jeannouvel.com
ArtParis Abu Dhabi
www.artparis-abudhabi.com/
1. Cet accord a été signé au mois de mars 2007 et est téléchargeable sur le site du Ministère de la Culture.
2. Discours de l’ancien Ministre de la Culture français Renaud Donnedieu de Vabres, http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/index-abudhabi2007.htm
3. Propos recueillis par Nathalie Bensahel, Libération du 6 janvier 2007.
4. Déclaration des trois conservateurs français Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dans le Monde du 13 Décembre 2006, mise en ligne par La Tribune de l’Art, http://www.latribunedelart.com/text_monde.htm
5. Entretien réalisé le 18 janvier 2008, à Paris.
6. Il est intéressant de noter que, dans un entretien pour l’émission « Masse Critique » de France Culture, M. Maquart a déclaré : « évidemment on n’exposera pas tout de suite « L’origine du monde » du peintre français Gustave Courbet », Nous supposons qu’il sous-entendait que c’était en raison de son caractère trop provocant aux yeux du public des Emirats.
7. Propos recueillis par Nathaniel Herzberg au président de TDIC (Tourism Development and Investment Company) Cheikh Sultan Bin Tahnoun, le Monde, 8 janvier 2008.
8. Valérie Duponchelle, « Le talent français se vend au pays des 1001 nuits », Le Figaro, 30 novembre 2007.
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