dimanche, septembre 10, 2006
Trois hypothèses pour le meilleur et pour le pire , une réflexion sur les conditions, les relations et le réseau de l’art autour de Apichatpong
« Worldly Desires », vidéo, 2005.
Préambule
Les créations d’Apichatpong Weerasethakul, artiste thaïlandais âgé de trente-six ans ayant étudié l’architecture à la Khon Kaen University en Thaïlande et le cinéma à la The School of the Art Institute of Chicago aux Etats-Unis, consistent principalement en des images en mouvement, notamment sous forme de vidéos, de courts-métrages et de longs-métrages. De retour dans son pays natal dans les années 90, Apichatpong, appelé Joe par ses amis proches, commence à réaliser des films et des œuvres vidéographiques qui présentent un lien fort avec la culture thaïlandaise. Les scènes magnifiques de paysage de campagne, de jungle et de vie quotidienne apaisée sont les caractéristiques de ses films. En 1999, Apichatpong fonde à Bangkok, avec ses amis proches, son propre studio cinématographique, nommé Kick the Machine, dont les activités visent avant tout à produire et à promouvoir des films expérimentaux et indépendants locaux et qui se distinguent du système cinématographique commercial local. En parallèle Apichatpong réalise également de nombreuses vidéos artistiques dont « thirdworld » en 1997, « Boys at Noon » en 2000 ou « Haunted Houses » à l’occasion de la Biennale d’Istanbul en 2001, « Masumi is a PC Operator / Fumiyo is a Designer » et « I was Sketching / segment of multi projections Narratives » au Japon en 2001. Cependant, pour que le grand public connaisse cet artiste singulier, il faut attendre jusqu’en 2002, grâce à ses longs-métrages, « Blissfully Yours » qui remporte le prix « un certain regard » et « Tropical Malady » le « prix du jury » au festival de Cannes. Ce sont ces deux films qui vont lui apporter une vraie reconnaissance internationale.
Une narration déconstructiviste et surréaliste
Au travers d’une narration déconstruite et de scénarii souvent vagues, les longs-métrages ou les courts-métrages d’Apichatpong, dont les enchaînements visuels et textuels dramatiques contrastent avec la structure filmique interne, cachent derrière des scènes magnifiques une histoire secondaire mystérieuse voir incohérente. On peut notamment voir ce principe dans les films « Blissfully Yours » et « Tropical Malady ». L’histoire du premier suit une logique bien différente de celle de l’art dramaturgique traditionnel, c’est-à-dire qu’elle ne suit pas l’ordre habituel : début – développement – conclusion avant de rebondir à la fin de l’histoire. Il raconte lentement et avec une langueur particulièrement douce et sensuelle une histoire d’amour entre une ouvrière d’usine, Roong et un clandestin cambodgien Min, qui se baladent entre la réalité de la vie quotidienne et le rêve bucolique de paysages thaïlandais. Pour le second film qui sort deux ans après, l’artiste va encore plus loin en filmant une jungle magnifique et luxuriante pour évoquer un amour difficile, une histoire trop belle pour être vraie entre deux hommes. Cependant, après presque une heure de film, le réalisateur décide brutalement de couper la narration et commence, après un très long noir, une autre histoire complètement différente de la précédente – un mythe chaman local sur un tigre blanc – où le folklore se mélange à la modernité. Dans les deux parties du film, dans l’incohérence des histoires, seule l’apparition des mêmes acteurs pourrait nous aider à tisser un lien entre elles. Est-ce une métaphore de l’amour pur des deux hommes, le fruit d’un pur hasard de la vie ou le destin inévitable de celui qui chasse et de celui qui est chassé ? On ne le saura pas.
Néanmoins, au travers des films « Mysterious Object at Noon » de 2000 et « Haunted Houses » de 2001, nous pouvions déjà observer cette curieuse manière de concevoir les films et son goût des expérimentations cinématographiques. Ces deux films sont le résultat d’une « réappropriation » des scénarios d’autres auteurs. Dans le film « Mysterious Object at Noon », l’artiste invite des villageois à inventer à la sauvette l’histoire du film. Par la méthode de « cadavre exquis » chère aux surréalistes, l’artiste a réalisé un film où se mélangent à la fois le documentaire et la fiction et ainsi conçu une œuvre singulière proche du film expérimental. Quant à « Haunted Houses », le scénario est emprunté au fameux soap show « Tong Prakaisad », une série télévisée thaïlandaise. L’artiste et l’équipe du plateau se sont déplacés dans six villages de la province thaïlandaise et ont recruté des habitants ensuite regroupés en dix équipes d’acteurs différents chargés de réinterpréter deux épisodes de la série d’une durée d’une heure. La rancœur, la tristesse et la déchirante histoire du soap show perdent les caractéristiques spectaculaires et racoleuses propre à ce genre de programme télévisé destiné au grand public en raison du jeu non professionnel des acteurs amateurs, mais aussi en raison du changement constant des équipes-acteurs et des décors. Ce qui était sensé attirer un grand audimat de soap show devient une représentation ironique et absurde tout en acquérant une qualité critique envers la société du spectacle propre à une œuvre d’art contemporaine.
"Scéne de tournage", copyrights reserved : Apichatpong Weerasethakul
Un travail d’équipe
D’autres œuvres sont fortement influencé par le travail en équipe cinématographique caractéristique de la création contemporaine, « Nokia Shorts », une courte vidéo de deux minutes dont la composition musicale est confié au musicien japonais Masato Hatanaka ou l’installation vidéographique « Ghost of Asia » co-réalisée avec l’artiste français Christelle Lheureux à l’occasion du Festival Tsunami en 2005. Dans un entretien réalisé avec l’artiste, celui-ci s’exprime sur ces expériences de groupe : « l’habitude de travailler en équipe est venue naturellement par le travail sur des images en mouvement dont plusieurs paramètres nécessitent une parfaite maîtrise technique. Mais cette forme de collaboration amène également, dans la plupart des cas, à une ouverture d’esprit envers les personnes associés et c’est ce qui rend le travail plus excitant qu’on pourrait l’imaginer. » Cet enrichissement de la collaboration apparaît notamment dans son travail avec la co-réalisatrice de l’œuvre « Ghost of Asia ». Répondant à la question sur le partage des taches entre deux partenaires dans un même projet artistique, Christelle et Apichatpong mettent avant tout en avant une entente mutuelle et une sensibilité commune et expliquent qu’ils ne suivaient pas un planning de travail bien précis durant le tournage et le montage du film. Il ne s’agit pas de la première collaboration entre les deux artistes qui ont déjà travaillé ensemble sur un autre film datant de 2002 intitulé « Second Love in Hong Kong ». Ces collaborations fréquentes dans l’œuvre d’Apichatpong sont le fruit d’une première rencontre lors de la projection de son film «Mysterious Object at Noon » à Paris en 2001. C’est chez un autre artiste français, Dominque Gonzalez-Foerster, que les deux artistes se sont rencontrés et qu’une amitié est née. Ces rencontres fortuites à première vue mais qui se transforment en une relation forte et durable, sont autant d’occasions pour ceux qui se sont rencontrés de travailler ensemble sur des films ou sur d’autres formes de collaboration et d’expositions.
Ce fut le cas pour le film « Blissfully Yours » de Apichatpong. A la recherche de fonds pour la réalisation de ce film, et grâce à ces rencontres dans le milieu de l’art parisien, Apichatpong avait présenté le projet à ses nouveaux amis dont Dominique Gonzalez-Foerster qui, en tant qu’artiste plasticien et cinéaste, l’a proposé à la compagnie de production française Anna Sanders Films dont le fondateur Charles de Meaux est ainsi devenu le producteur principal de deux films de l’artiste primés à Cannes.
Hypothèse 1 : Collaborateurs en réseau
Ce mode de collaboration basé sur des rencontres fortuites et amicales nous amène à une première hypothèse sur la question du réseau de l’art, et du réseau de l’artiste Apichatpong en particulier. Anna Sanders Films est une société de production française créée en 1998 par Charles de Meaux, Pierre Huyghe et Philippe Parreno, rejoint par Dominique Gonzalez-Foerster par la suite, qui vise à promouvoir les films indépendants principalement réalisés par ses membres. A la suite du projet commun « No Ghost just a Shell » autour d’un personnage virtuel de dessin animé « Ann Lee », les trois artistes membres de cette association ont consécutivement réalisé trois versions filmiques différentes qui sont la suite d’une autre collaboration antérieure de Pierre Huyghe et Philippe Parreno « Anna Sanders Magazine ». « Anna Sanders est le nom d’un personnage de film en cours d’écriture. C’est aussi le nom d’un magazine qui présente ce personnage. Sans jamais voir aucune image de lui, on le découvre à travers le graphisme, les articles, le choix des images ou des publicités… D’autres personnages apparaîtront de la même manière, en donnant leur nom à d’autres numéros. L’ensemble de ces magazines racontera une histoire, incarnée par ces personnages que l’on ne voit jamais, donnant le sentiment d’une histoire, "l’histoire d’un sentiment". »
Nous ne rentrerons pas ici dans les détails de ces réalisations car ce n’est pas le propos de cette étude, néanmoins cette histoire de rencontres, d’amitiés et de co-productions confirme une nouvelle façon de mise en réseau dans le champ limité et particulier de l’art contemporain. Au travers d’une conception très personnelle des relations qui, à priori, n’est pas particulièrement originale – dans le milieu de l’art contemporain comme dans toute autre activité sociale, la relation entre les individus constitue en effet le lien et le rapport permettant de créer des nouvelles possibilités d’élargir le champ d’application de connaissance et d’influence –, relations qui dans l’entretien qu’il nous a accordé Apichatpong décrit comme de brèves rencontres inopinées avec un ton plus proche de l’amitié que d’une collaboration professionnelle, l’artiste monte des co-productions cinématographiques qui apparaissent plus comme le fruit d’un goût esthétique cinématographique commun qui a attiré l’attention de la firme française que comme de simples collaborations professionnelles. Si l’importance d’Anna Sanders Films dans le cercle de l’art contemporain parisien et la distribution cinématographique française a un impact non sans importance aujourd’hui et si leurs productions ont été soit acquises par des institutions publiques telles que le Centre Georges Pompidou ou récompensé par des festivals de cinéma majeurs, c’est aussi la preuve d’un esprit et d’une force collective qui fonde une nouvelle tendance en terme de mode de production internationale. Ce mode de travail, à la fois cinématographique et artistique qui existe depuis les avant-gardes ne cesse donc d’exister au sein d’un champ de production qui par ailleurs doit répondre à de très fortes pressions financières.
« The Adventure of Iron Pussy », Long-métrage, 2003.
Hypothèse 2 : Le regroupement de générations proches où se nourrissent des nouvelles amitiés
Dans le même esprit de fonctionnement collectif, il faut également évoquer l’association « pointligneplan », co-fondé par Erik Bullot, Cécile Vargaftig et Christian Merlhiot, et soutenue par le Ministère de la Culture et de la Communication, le CNC (Centre National Cinématographie), la fémis, la Marie de Paris et le GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques). « poingligneplan » regroupe soixante artistes ou cinéastes dont les trois fondateurs et certaines personnalités renommés de l’art contemporain comme Ange Lecca, Pierre Huyghe, Dominique Gonzalez-Foerster, Christian Boltanski, Valérie Jouve, Nicolas Rey, Dominique Pasqualini, Dominique Petitgand, Alain Declercq, Laurent Grasso, Valérie Mréjen, Christelle Lheureux, Apichatpong Weerasethakul, etc., toutes générations confondues. Autour d’Ange Lecca, directeur et Christian Merlhiot, responsable pédagogique du Pavillon du Palais de Tokyo, nous ne serons pas surpris de retrouver certains noms déjà associés par ailleurs et dont les liens sont constitués autant d’amitiés que de collaborations ou de rapports professeur-étudiant, notamment Christelle Lheureux – Apichatpong Weerasethakul – Dominique Gonzalez-Foerster (Anna Sanders Films), Ange Lecca – Christian Merlhiot – Apichatpong Weerasethakul – Louidgi Beltrame (Le Pavillon), Christelle Lheureux – Julien Loustau – Laurent Grasso (Le Fresnoy), Christian Merlhiot – Dominique Petitgand – Valérie Jouve – Julien Loustau – Fanny Alder (Ecole Nationale Supérieure d’art de Nancy), etc.
Ce jeu d’association a pour but à la fois de confirmer notre première hypothèse de mise en réseau mais il est aussi révélateur d’un système d’éducation en matière d’art et de cinéma qui occupe une place importante en France. Si la vieille relation traditionnelle de maître à apprenti existe encore aujourd’hui dans certains métiers, soit en raison de leur complexité technique soit tout simplement en raison d’une vieille tradition, en revanche, cela ne semblait plus être le cas dans le milieu de l’art contemporain. La démocratisation des outils et de l’accès à l’enseignement supérieur de l’art et le triomphe de l’esthétique qu’évoque le philosophe Yves Michaud dans son ouvrage « L’art à l’état gazeux, essai sur le triomphe de l’esthétique » , semblaient indiquer que les temps avait bien changé dans le sens de plus de souplesse et de flexibilité. Comme indiqué dans la préface du site web de cette association, « pointligneplan se proposait de considérer ces évènements et de les nourrir à l’intérieur du cinéma. Au-delà d’un choix de films, il nous semblait essentiel d’envisager une articulation historique et critique entre ces objets et le champ de l’art ou du cinéma qui les produit. Ce questionnement visait à mettre en relation la diffusion de formes de production légères et la circulation d’une idée de cinéma, indépendante et autonome de son économie traditionnelle. En créant notre propre outil sous le label pointligneplan, nous cherchions à qualifier l’existence de ce cinéma hors les murs et à développer ses axes transdisciplinaires… » Cette belle initiative générant une synergie de talents et une énergie transcendante et communicative pour toute une génération est sans doute une force nouvelle créatrice de projets qui sans elle ne verraient pas le jour, au risque de se rapprocher en terme de fonctionnement et de financement des processus de fabrication de produits de consommation. Mais ce label n’en justifie pas moins l’existence d’un certain cinéma ou d’un certain art où l’union d’une génération ou d’artistes aux intérêts et à la vision communs fait la force et tente de créer sa propre histoire, au risque d’une certaine ghettoïsation.
Hypothèse 3 : Pluridisciplinarité de l’art et artiste multi-face
Nous avons vu les deux hypothèses précédentes qui évoquent les diverses circonstances fortuites conduisant à des rencontres et des mises en réseau. Avant de terminer cette réflexion, il nous semble qu’il est indispensable d’évoquer le nouveau régime pluridisciplinaire de l’art d’aujourd’hui qui mêle de plus en plus intimement cinéma, design, mode, graphisme, architecture, bande dessinée, etc. au sein des différentes institutions publiques et privées contemporaines afin de comprendre l’inter-influence des arts, notamment le jeu des rapports entre le cinéma et l’art plastique.
Depuis plusieurs années, les institutions comme le Centre Georges Pompidou, le Palais de Tokyo ou le Musée d’Art Moderne de la ville de Paris ont établi une programmation de projection cinématographique. Cette évolution vise non seulement à répondre à la pluridisciplinarité de la création contemporaine comme nous l’avons déjà évoqué dans le cas des fondateurs de la compagnie de production Anna Sanders Films et de l’association de diffusion de l’art contemporain, mais elle vise également à élargir sa monstration à un plus grand public que ceux qui seraient plus sensibles à la création d’une pratique artistique isolée. En tant que 7e art, le cinéma, depuis son apparition, a toujours occupé une place importante et influente au sein des pratiques artistiques. Cependant, en raison de sa complexité et des nécessités techniques liées à sa production et à son visionnage, mais aussi de ses implications financières et économiques, son système de distribution et de diffusion se construit tout naturellement indépendamment du système de l’art dit plastique. Avec la construction de nouvelles salles spécifiquement destinées aux projections des œuvres d’images en mouvement qu’il s’agisse de films expérimentaux, de vidéos ou de films indépendants ou plus grand public, les musées semblent ainsi élargir leur champ de monstration artistique en incluant les programmations de vidéo, de films documentaires et de cinéma expérimental ou narratif. Ce changement de programme et de propositions artistiques a sans doute accéléré le mélange des genres au sein de la création artistique contemporaine mais également donner un nouveau souffle aux cinéastes indépendants car avec la puissante mondialisation des réseaux et la diffusion culturelle de l’idéologie et de l’esthétique « hollywoodienne », disons à tout le moins dominante, le constat de la difficulté de trouver des fonds pour des cinéastes mineurs ou inconnus et le formatage grandissant des codes et des styles révèlent une perte de qualité artistique et expérimentale du cinéma d’aujourd’hui. Dans cette perspective, quelques exemples récents montrent une évolution des pratiques et des mentalités et une certaine tendance au décloisonnement. Les films d’Apichatpong ou le film récent de Philippe Parreno, « Zidane », s’inscrivent tous les deux dans une conception artistique nouvelle qui bouscule les conventions des structures de production cinématographique qui forment la norme actuelle. Cette évolution se fait aujourd’hui soit par les manières même d’écrire le scénario et de filmer proches de celles des films surréalistes et expérimentaux mais aussi par leur mode de diffusion principalement réservé aux festivals et aux salles d’exposition dans le cas d’Apichatpong, soit à l’aide du soutient financier et technique de masse du système de distribution cinématographique traditionnel en réalisant un film que les partenaires espèrent « commercial » même s’il n’est « pas comme les autres » chez le dernier. Le film « Zidane » n’est sorti en salle que trois ou quatre semaines et sa recette s’est avérée plutôt médiocre par rapport à ses investissements malgré une importante promotion, mais il a néanmoins suscité une grand intérêt et une réflexion au sein du milieu artistique en raison de ses deux réalisateurs – Philippe Parreno et Douglas Gordon, deux artistes renommés internationalement dans le monde de l’art contemporain. Cet intérêt et ce pourquoi cette expérience est inédite réside aussi dans sa stratégie de juxtaposition du statut d’un artiste plasticien et d’un cinéaste et de l’ambition ouvertement artistique du sujet destiné à la fois au grand public, à un public de cinéma plus spécifique et enfin à celui des musées. Cet élargissement de la visibilité du champ de l’art contribue, tout comme les courts-métrages, les vidéos et les installations d’Apichatpong, à un changement de statut de l’institution dite muséale ou des centres d’art mais aussi, on le voit, des salles de cinéma. La diffusion ou la dissolution de la culture dans la société contemporaine semble fonctionner dans les deux sens et entraîner un mélange des genres dont les frontières bougent en même temps qu’elles deviennent plus perméables. Les sujets et des lieux de monstration deviennent plus flous et plus ouverts où dominent le collage, le mixage des genres et des esthétiques et cette « dérive » non des matières mais des médiums et des disciplines apparait comme le symptôme d’un art plus volatile et d’une esthétique relationnelle plus « gazeuse ».
« Faith », Vidéo, 2006.
Conclusion
Comme l’évoque l’artiste Apichatpong Weerasethakul dans notre entretien « toutes les choses sont reliées au film par une sorte d’architecture (sa formation initiale) ; il s’agit simplement d’une autre façon de raconter des histoires, tout dépend comment une personne utilise l’espace et le temps comme éléments de base pour construire son récit et son monde propre… » . Cette attitude très ouverte et interdisciplinaire concernant l’art n’est-elle pas aussi l’attitude que l’on pourrait adopter face au réseau relationnel que constitue le monde de l’art contemporain d’aujourd’hui ? Les narrations mystérieuses et les compositions contrastées des films d’Apichatpong montrent l’impossibilité d’encadrer étroitement et de manière unifiée les œuvres d’art contemporain par les codes et les formatages habituels en même temps que ces œuvres intègrent sociologiquement et esthétiquement les canons de la consommation contemporaine. Cette double évolution, ce mixage, correspond également, semble-t-il, à ce phénomène de mélange des genres que nous avons déjà décrit précédemment. Le mélange et l’insertion d’éléments hétérogènes au sein d’un ensemble qui, à première vue, semble incohérent et semble renfermer un monde à la logique propre et à l’inspiration subjective tout en élargissant son champ d’influence et de sensibilisation, n’est-ce pas aussi le sentiment que nous avons en face de cette machinerie gigantesque et aux limites mal définies que l’on appelle l’art contemporain ? Dans ce milieu où personne n’est vraiment indépendant des autres et où les interventions d’institutions publiques nécessitent de rentrer dans un cercle professionnel pour avoir l’accès à l’information, où le marché de l’art lui-même et ses logiques plus commerciales forme un cercle plus petit et plus difficile à approcher encore et où le grand public est plus ou moins attentif, les passerelles entre les arts tout comme les liens entre les personnes concernées existent avec toujours plus de visibilité et d’intensité. Il n’y a pas d’art sans artiste, mais il n’y a pas non plus de monde de l’art sans ses acteurs. Dans l’histoire de l’art, le fonctionnement en réseau existe depuis toujours, les « ismes », les mouvements et les groupes se succèdent les uns après les autres ; les paradigmes de l’art ont peut-être changé mais pas les relations humaines, sociales et économiques, pour le meilleur et pour le pire.