vendredi, juin 23, 2006

Une acquisition partagée : Bill Viola, Five Angels for the Millenium, 2001

Derrière la collection (nouvelle version française)
L’auteur tient à remercier la conservatrice en chef Christine Van Assche et l’attachée de collection Sylvie Douala-Bell du Service Nouveaux Médias du Centre Georges Pompidou / MNAM, pour leurs soutiens et conseils précieux.


Description de l’œuvre :

Cinq écrans d'un mètre et demi de largeur et trois mètres neuf de longueur chacun, deux écrans d'un côté et trois écrans de l'autre, sont présentés dans un espace rectangulaire[1]; chaque écran est dominé par un monochrome spécifique et le reflet provenant de ces surfaces paisibles nous donne un premier indice sur les conditions de filmage - ce sont des images filmées sous l'eau semblables à la fois à la surface d’un miroir réfléchissant, à une vague agitée provoquant un ronronnement sonore, à un horizon inversé de haut en bas donnant un sentiment de désorientation ou, comme la dernière image couverte d’étoiles lumineuses, à une représentation imaginaire du cosmos. On distingue d’abord difficilement le mouvement de l’image qui se trouve dans chaque écran et sa signification. En accompagnement de ces images géantes, nous entendons le chant d’insectes inconnus et le ronronnement de vagues qui nous laissent à deviner un tournage en extérieur. Alors que nous sommes encore perdus dans un état primaire de la vision, encore dans un état incertain concernant la compréhension de ce qui est montré, en même temps que nous sommes déjà séduit, un homme apparaît soudain sur le premier écran et s'élève lentement du bas ver le haut, dans une position inversée, entouré d’étoiles (bulles d'air). Un son grave et mystérieux s’amplifie progressivement, se rapproche, de plus en plus fort jusqu'à un événement inattendu, comme un coup de tonnerre traversant le ciel ou comme une grosse pluie imprévisible et soudaine : l'homme en question perce maintenant la surface paisible de l'eau et provoque un éclaboussement sur le fond d'un bleu foncé. Cependant, la surprise se change en compréhension aussi soudaine que le surgissement ; nous comprenons immédiatement ce qui se passe sur ce premier mouvement. Cette séquence montre un homme sautant dans l'eau mais qui, en raison d’un montage complexe de l'enregistrement et d’une inversion de la lecture, semble suivre au contraire un mouvement d'ascension exprimant un sentiment sublime et spirituel qui fait écho au sous-titre de ce premier film Departing Angel. Puis, les mouvements des autres images succèdent au premier qui semble les déclencher selon une réaction en chaîne, une relation de causalité, un décalage de temps préprogrammé. Le démarrage de chaque image suit à quelques minutes d’intervalle afin de constituer une expérience visuelle d’enchaînement jusqu'au dernier écran qui, en retour, va précéder le recommencement du même mécanisme et fermer la boucle de l’ensemble du mouvement. Il est important de mentionner que le dernier film du cinquième écran ne représente plus un point de vue horizontal mais une vue en plongée verticale de la caméra qui, au moment de la fin du cycle, va nous ramener au calme initial du début. Et puis, doucement et discontinûment, le cycle se remet en marche et s’enchaîne sans relâche selon le même rythme et la même temporalité décalée, métaphore du cycle immuable de la vie.



Historique de l’acquisition de l’œuvre :

Réalisée en 2001, Five Angels for the Millennium fait partie des nombreuses installations de grande échelle de l’artiste américain Bill Viola. Le professeur du département d’arts nouveaux médias de l’Université de Londres, Chris Townsend, dans le préambule de l’ouvrage The Art of Bill Viola[2], mentionne que quand l’œuvre a été présentée à Anthony d’Offray Gallery en 2001 pour la première fois, l’exposition a attiré presque quarante milles visiteurs selon l’estimation d’un ancien employé de la galerie, Anthony d’Offray qui a par ailleurs déclaré : « Je ne devrais pas faire cela, c’est le travail de la Tate.[3] » Cette petite phrase anodine, en dehors de la complexité technique inhérente à l’œuvre, nous donne une première indication des difficultés rencontrées. En effet, si la haute technologie mise en place qui, selon le professeur Rhys Davies cité dans le même ouvrage, atteint une supériorité technique équivalente à celle employée dans le film Attack of The Clones de Georges Lucas, technologie appelée Vidéo Digitale de Haute Définition (Hi Definition Digital Video)[4], on pourrait douter, eu égard à la réputation internationale actuelle de l’artiste qu’un tel aspect technique aurait une quelconque influence sur la volonté des musées du monde entier d’exposer ou de collectionner les œuvres de cet artiste. Mais plus que cette technologie nouvelle et innovante, c’est sans doute les difficultés de partager les droits de possession et de diffusion entre différentes institutions nationales ou internationales distinctes qui semblent avoir posé problème. Dans l’histoire de l’art, pour la première fois, une œuvre contemporaine impressionnante et imposante, aussi bien dans sa forme que dans son contenu, a été acquise conjointement en 2002 par trois musées d’art moderne et contemporains majeurs du monde : Tate Moderne (Tate) de Londres, Whitney Museum of American Art de New York (Whitney) et Centre Georges Pompidou / Musée National d’Art Moderne (Centre Pompidou) de Paris, après plus d’un an de discussion et de négociation.[5] Par ailleurs, un tel processus de co-acquisition organisé par les trois musées nécessite non seulement un contrat de co-acquisition mais aussi un contrat de co-copropriété afin de bien distinguer les droits et des devoirs de chaque partie concernée pour pouvoir anticiper tout éventuel conflit à venir.

Analyses et conséquences de la co-acquisition :

Annoncée en octobre 2002 par le Whitney, l’acquisition est ainsi commentée par l’ancien directeur du musée Maxwell L. Anderson dans le communiqué de presse : « […] l'accord nécessite de partager la propriété de l’œuvre et d'alterner sa présentation. On pense qu’il s’agit de la première co-acquisition internationale par trois musées majeurs d'une œuvre contemporaine de cette importance. […] L'accord signé entre le Whitney, la Tate et le Centre Pompidou gouverne, entre autres aspects, la propriété, la présentation, le transport, la manipulation et l’installation, l’assurance, la conservation, et les prêts de l’œuvre. L'accord lui-même est remarquable pour avoir résolu des questions concernant trois pays, trois établissements majeurs - chacun avec leurs propres missions et directives - et deux systèmes légaux, l’un basé sur la Common Law (aux Etats-Unis et en Grand Bretagne) et l’autre sur la loi du Code Civil (en France).[6] »

- L’aspect juridique et contractuel :

• La propriété et la vente ou le transfert de propriété de l’œuvre

Five Angels for the Millennium est une œuvre éditée en trois exemplaires avec deux épreuves d’artiste comme la loi l’exige. Cependant, l’objet de notre étude devrait être considéré comme une édition à part entière si nous nous référons à la loi sur le droit d’auteur. Les droits patrimoniaux de l’œuvre acquise sont en réalité partagés par ces trois établissements, c’est-à-dire que chaque institution possède un tiers du droit patrimonial de l’œuvre en question. Mais selon l’Article 18 de la loi française du 31 décembre 1913 qui prévoit le principe d'imprescriptibilité pour les collections des Musées de France, ainsi que l'inaliénabilité des collections des ceux-ci, le principe d’œuvre d’art comme « trésor national » pour le Centre Pompidou ne s’applique pas pour la Tate et le Whitney qui ont la possibilité de vendre l’œuvre de leur propre collection à un tiers. Ici, il faut mentionner que les collections de la Tate sont bien propriété de la nation mais que leur gestion est confiée aux administrateurs bénévoles (trustees)[7]. Quant au Whitney, ses collections appartiennent au bureau de trustees ainsi que sa gestion. Dans une telle organisation muséale, le disposal (dépôt) et le deaccession (cession) sont considérés comme une pratique légale en terme de gestion de la collection. En fait, le problème d’une vente éventuelle de l’œuvre qui entraînerait un changement de copropriétaires se situe outre-atlantique. Face à une telle éventualité, il est important, pour la partie française, de prévoir dans le contrat de copropriété de l’œuvre la priorité de chaque partie en cas de vente éventuelle de droit tiers d’un de copropriétaire. L’Article 9 du contrat est consacré à ce sujet et précise que la vente et le transfert de l’intérêt tiers de l’œuvre à un autre tiers est possible, mais que la décision de cette vente devra être prise avec l’accord préalable des deux autres tiers. Par ailleurs, les deux autres parties ont la priorité d’acquérir, conjointement ou séparément, l’intérêt tiers en vente. Quant au transfert de l’intérêt tiers de l’œuvre vers un autre tiers par un des copropriétaires, il est possible pour le Centre Pompidou car selon l’article 3 de Circulaire n° 2004/014 « une personne publique peut transférer, à titre gratuit, la propriété de tout ou partie de ses collections à une autre personne publique si cette dernière s’engage à en maintenir l’affectation à un musée de France ». Cette éventualité importante est également signalée dans le contrat de copropriété afin d’être en cohérence avec la loi française.

• Le système légal et la loi juridique gouvernante


Néanmoins, même en essayant de respecter les spécificités de la loi de chaque pays où se trouvent les trois différentes institutions, un problème particulier existe concernant le droit applicable et la compétence juridictionnelle en cas de conflit entre les parties. Dans ce cas précis, une clause du contrat de co-acquisition s’impose au regard de la loi anglaise concernant le respect du lieu de la vente Anthony d’Offray Gallery en Angleterre. Cependant, pour harmoniser le contrat de co-copropriété avec le contrat d’acquisition, cette clause du second est également reprise dans le premier qui entraîne une situation privilégiée pour la Tate. En terme de compétence juridictionnelle, nous pouvons imaginer qu’il sera possible, en raison des multiples propriétaires de l’œuvre, de séparer du contrat le droit applicable au regard de la loi anglaise et, selon des pratiques courantes dans la profession, de ne pas mentionner cette clause et de laisser au tribunal liberté de trancher en cas de conflit après échec éventuel d’une conciliation amicale.


- L’aspect technique de la conservation et de la diffusion :

• La période de garde et le transport
Selon le souhait de l’artiste, l’acquisition de Five Angels for the Millennium couvre à la fois les cinq masters (bandes Bêta Digital SP) audiovisuels mais aussi les équipements nécessaires à la présentation de l’œuvre, ce qui n’est pas une pratique courante dans la profession. Cette exigence de l’artiste concernant les projecteurs, les lecteurs, les amplificateurs…etc. (voir annexe 1) fait partie intégrante de l’œuvre et oblige non seulement les institutions à prévoir les caisses spécifiques pour la conservation et le transport de celle-ci, mais aussi le coût de maintenance, de réparation, de remplacement éventuel de pièces techniques. Donc, Five Angels for the Millennium fonctionne en réalité comme un container mobile qui, selon la période de garde prévue dans le contrat de co-copropriété[8], circule d’un musée à l’autre comme une œuvre à part ne faisant pas partie d’une sous-collection spécifique ou de la collection globale de chaque musée et ne bénéficie pas d’un statut dit « collectif », comme une œuvre d’art d’allocation d’une durée déterminée. Un tel statut exige parallèlement une gestion administrative minutieuse, détaillée et spécifique auprès des agents habilités des institutions afin d’assurer une meilleure communication et compréhension entre les parties concernées et, surtout, une meilleure mobilité de l’œuvre.

- La conservation :

• L’assurance, la maintenance et la réparation
Au-delà des difficultés d’une telle gestion administrative minutieuse, détaillée et spécifique, et malgré les statuts différents de chaque musée concerné qui peuvent néanmoins être considérés comme des partenaires hors pairs et particulièrement engagés l’un envers l’autre concernant leurs intérêts communs envers l’œuvre en question, il faut évoquer le risque éventuel lié à chaque déplacement intercontinental et un constat d’état doit être obligatoirement établi pour chaque changement de la période de garde. Le problème du transport de l’œuvre pose également la question du choix de la compagnie d’assurance et du type de contrat d’assurance, et surtout, de la loi applicable pour celle-ci. Il est bien sûr préférable de choisir une compagnie d’assurance internationale qui prend en considération des propriétaires multiples, la valeur agréée par ceux-ci à chaque changement de la période de garde, et enfin, un risque total selon le standard d’assurance de l’œuvre d’art. Cependant, le risque de guerre civile et étrangère n’est pas pris en considération en France, sauf pour le transport, ce qui n’est pas le cas pour les pays anglo-saxons. Cette différence en terme de droit national doit être prise en compte dans le contrat de copropriété établi en excluant la responsabilité du Centre Pompidou. En revanche, pour les copropriétaires de l’œuvre, les frais d’usures et de dommages naturels, qui se distinguent des conséquences de mauvaises manipulations accidentelles des agents de maintenance et des opérations habituelles d’entretien de l’exposition par le détenteur de l’œuvre, doivent être partagés par tous. Cette disposition nécessite par ailleurs un bon suivi du constat d’état de l’œuvre et l’établissement de documents explicites afin de pouvoir déterminer les responsabilités de chacun en cas de litige.

- La diffusion :

• Le prêt d’un tiers et le droit de reproduction
Quant à l’autre type de diffusion de l’œuvre, le prêt de l’œuvre à un tiers doit avant tout être pris en considération. La nature du droit patrimonial de l’œuvre est conjointement partagée par les trois institutions. En d’autres termes, le droit de prêt issu du droit patrimonial est obligatoirement sous la garde de toutes les parties concernées. Par conséquent, en cas de demande d’un tiers, et ce quelle que soit la provenance de la demande, la réponse doit faire l’objet d’une étude et d’un accord unanime de toutes les parties. Cette obligation relève à la fois de la question du partage des droits, mais aussi des devoirs qui, encore une fois, oblige à une meilleure compréhension du principe de prêt de chaque partie envers les autres afin d’assurer une meilleure protection de l’œuvre. Si le prêt de l’original de l’œuvre apparaît assez complexe, ce n’est en revanche pas le cas pour la reproduction d’images de l’œuvre à des fins illustratives relatives aux activités, aux publications ou aux catalogues de chaque musée sous les formats les plus divers.

Conclusion :

- Une pratique devenant une norme à venir ?

Le sujet de cette étude révèle à la fois une possibilité nouvelle en terme d’acquisition d’une œuvre d’art sous la pression permanente de la spéculation de marché de l’art, mais aussi un nouvel horizon en termes de gestion et de collaboration muséales. « De plus en plus, depuis plusieurs années, les établissements autour du monde se voient comme des collègues plutôt que des concurrents. Notre association permet à cette œuvre extraordinaire d'être présentée au plus large public international possible. Je crois fortement qu'un nouvel esprit d’interdépendance a rendu cette sorte d'arrangement viable comme modèle pour toutes sortes de coopération.[9] » commente l’ancien directeur du Whitney Maxwell L. Anderson dans le communiqué de presse déjà cité ci-dessus.
Il faut noter que d’autres exemples de co-acquisition d’une œuvre d’art existaient déjà dans l’histoire de l’art en 1972. En effet, le Louvre s’était associé avec le Metropolitan Museum of Moderne Art (Métropolitain) de New York pour acquérir conjointement un peigne médiéval d'ivoire représentant l'arbre de Jesse. Par ailleurs, en 1980, le Smithsonion Institute’s National Portrait Gallery et le Boston Museum of Fine Art avaient acquis conjointement Athenaeum portraits, une série de portraits de George et Martha Washington réalisée par le peintre Gilbert Stuart. Ou encore, en 1981, la toile La Sainte Famille de Poussin a été acquise conjointement par le Getty Museum et la Norton Foundation. Par ailleurs, hors du contexte d’acquisition conjoint, le Louvre avait passé un accord avec le Métropolitan pour une alternance de périodes d’exposition de trois ans pour exposer une statue néo-sumérienne d’albâtre de provenance inconnue car chacune des institutions ne possédait qu’une partie de celle-ci.[10]
Si une œuvre ou un objet d’art peut avoir de multiples formes d’exposition et de d’acquisition, si on se réfère aux installations in situ de nombreux artistes contemporains, comme Daniel Buren, Christian Boltanski, Thomas Hirschhorn, etc., certaines de ces œuvres sont elles-mêmes modifiées en fonction du contexte de chaque configuration spatiale du lieu d’accueil. Des études relatives à cette question ont été au cœur de la réflexion de nombreux chercheurs en ce domaine.[11] Un tel phénomène et une telle pratique muséale peuvent également représenter une certaine perte d’unicité d’une collection donnée et posent de fait la question de l’évolution de la demande et des souhaits des musées contemporains. Le cas Five Angels of the Millennium peut être perçu comme une nouvelle voie en terme de forme de collection d’œuvres d’art contemporain. En 2004, un autre cas de co-acquisition a été rendu possible pour Mapping the Studio II With Color Shift, Flip, Flop, & Flip/Flop (Fat Chance John Cage) de l’artiste américain Bruce Nauman, par les trois musées : le Centre Georges Pompidou / MNAM, le Kunstmuseum de Bâle et la Tate Modern de Londres. Cette deuxième expérience semble peut-être encore plus enrichissante et porteuse d’évolution. L’accord de co-copropriété de la part du Centre Pompidou a été plus avantageux et plus juste en dépit de la différence entre la loi française et la loi anglaise, notamment concernant le droit de revente à un tiers et la régime juridique s’appliquant au contrat.

- Collection : pour une mémoire collective

Malgré la complexité de ces processus administratifs, et pour en revenir à l’œuvre elle-même, Five Angels for the Millennium apparaît comme une métaphore de la conception de l’art de Bill Viola. Au travers de projections monumentales, de l’utilisation d’un ralenti extrême du mouvement, l’homme et l’eau semblent symboliser à la fois l’ange déchu promis à la chute terrestre – c’est le sens descendant (le mouvement réellement filmé correspondant donc à la « matière » du réel) et le sublime du salut spirituel et de l’ascension – c’est le mouvement sublimé et transfiguré par l’inversion utilisée par l’artiste. Il nous semble que, par-là, l’artiste cherche également à retrouver l’« aura » de l’œuvre d’art à travers les médias et techniques contemporains qui, à la manière des représentations de la peinture religieuse classique, exprime que «le sacré est un élément inhérent de la structure de la conscience et n’est pas une étape dans l'histoire de la conscience. Le sacré est en nous tous, conscience intuitive et croyance constante dans l'autre monde. »[12]

Si la conscience intuitive et la croyance constante dans la création artistique sont la base éthique de l’artiste, et si Five Angels for the Millennium instaure l’impossibilité d’une narration au travers de décalages de lecture et d’alternances de l’image et du son, entre immobilité et explosion ultime, l’artiste prend le contre-pied de l’évolution de l’art d’avant-garde depuis le début du siècle dernier et crée une émotion jubilatoire parmi les spectateurs qui suggère un retour à la tradition de l’art. « En utilisant les médias du monde moderne, Bill Viola nous donne un art qui est « démodé » : il est singulier dans l'âge de la reproduction et de la multiplicité ; il cherche la profondeur plutôt que le divertissement facile ; et, transcendant, il nous domine quand nous cherchons à commander tous ce que nous voyons. »[13]

Depuis longtemps, le musée, considéré comme le temple sacré des objets d’art se donne la mission de la conservation et de l’exposition de ceux-ci. Dans notre étude, nous nous sommes attachés à décrire la méthode innovante mise en place par les trois musées afin d’acquérir, de conserver et d’exposer une œuvre d’art contemporain qui, à la différence d’une œuvre ancienne, bénéficie des potentialités de multiplicité et de reproductibilité des concepts et des techniques de l’art contemporain. Un tel effort marque également la différence entre la collection publique et la collection privée en termes de possession et de conservation de l’œuvre d’art. À la différence de la passion d’un collectionneur privé, souvent emprunte de fétichisme, de désir de possession et d’attachement envers le passé, la passion néanmoins nécessaire des institutions publiques ou nationales s’est doublée de devoirs et de responsabilités beaucoup plus grands qui nécessitent une analyse et une gestion très complexes afin d’assurer l’indispensable continuité de sa mission et des œuvres elles-mêmes. Si « toute passion, certes, confine au chaos, [et que ] la passion du collectionneur, en ce qui la regarde, confine au chaos des souvenirs. »[14], la responsabilité du musée envers sa collection doit répondre à une éthique sans cesse en évolution. Cette éthique doit être basée sur les conditions objectives d’acquisition, de conservation et d’exposition des oeuvres, non seulement quant aux obligations de contribuer à une meilleure compréhension de l’histoire de leur conception et de leur devenir dans le domaine muséal ou marchand, mais également quant à la nécessité contemporaine d’inventer sans cesse un système logistique et administratif continu mais souple, prospectif et évolutif afin de s’adapter à la diversité de la création contemporaine et de conserver la meilleure mémoire collective et publique possible des œuvres elles-mêmes comme des conditions culturelles au sein desquelles elles ont pu voir le jour.



Notices :
[1] Cette présentation est basée sur l’exposition du Centre Georges Pompidou Big Bang, destruction et création dans l’art du 20e siècle, 15 juin 2005 - 3 avril 2006, Paris.

[2] The Art of Bill Viola, Thames & Hudson Ltd., London, 2004.

[3] Ibid, p 7. « I shouldn’t be putting this on, this is the Tate’s job. »

[4] Ibid, p145. « …Viola had reached the point where his tools – though certainly not his budgets – were much the same as those used by Lucas in Attack of the Clones, 2002: namely Hi Definition Digital Video and hard disk based editing systems.

[5] Ici, nous voulons signaler que cette date n’est pas la date définitive du contrat signé par les parties concernées, si on se réfère au contrat définitif qui est daté du 5 janvier 2004, un peu plus d’un an après l’annonce du communiqué de presse de Whitney Museum. Cet élément nous laisse supposer que la discussion et la négociation entre les trois parties auraient durées un peu plus d’un an à la suite d’un accord mutuel de principe des trois établissements.

[6] « New York’s Whitney Museum, London’s Tate Gallery and Paris’s Pompidou Center will jointly acquire major Bill Viola Installation », New York, London, Paris, October 17, 2002. (www.whitney.org/)
([…] The agreement entails sharing ownership of the work and alternating its presentation. It is believed to be the first international co-purchase by three major museums of a contemporary work of this significance. […] The agreement concluded between the Whitney, the Tate and the Pompidou governs, among other aspects, ownership; presentation; transportation; handling and installation; insurance; conservation; and loans of the work. The agreement itself is remarkable for having resolved issues pertaining to three countries, three major institutions - each with their own missions and guidelines - and two legal systems, one based on Common Law (in the U.S. and Great Britain) and Civil Law (in France).

[7] La collection nationale d'art britannique et moderne est propriété de la nation et confiée à la Tate, qui s'assure qu'elle peut être appréciée par le public dans tout le pays et à l'étranger. (http://www.tate.org.uk/supportus/trusts/)

[8] Il est prévu pour les trois premières années, une période de garde d’un an par copropriétaire, puis ensuite de deux ans.

[9] « New York’s Whitney Museum, London’s Tate Gallery and Paris’s Pompidou Center will jointly acquire major Bill Viola Installation », New York, London, Paris, October 17, 2002. (www.whitney.org/)
(Increasingly, for the past several years, institutions around the world have been seeing themselves as colleagues rather than competitors. Our partnership allows this extraordinary work to be brought to the broadest possible international public. I believe strongly that a new spirit of interdependence has made this kind of arrangement viable as a model for all kinds of cooperation.)

[10] Simpsons Solicitors, "Acquisition of collection material", document non daté. (http://www.simpsons.com.au/)

[11] Nathalie Leleu, "L’art d’accommoder les restes, Transfers entre l’exposition et la collection", Collège de Philosophie / Centre Georges Pompidou, 4 – 5 octobre 2002. Nathalie Leleu prend l’installation « Jamais deux fois la même » de l’artiste français Daniel Buren comme exemple, en soulevant la contrainte logistique et la configuration muséale nécessaire à cette oeuvre, afin d’étudier les différentes politiques d’acquisition et de monstration de l’œuvre d’art contemporain dans les musées d’aujourd’hui.

[12] Chris Townsend, "Call me old fashioned, but…", The Art of Bill Viola, Thames & Hudson Ltd. London, 2004, p.106. “The sacred is an element in the structure of consciousness and not a stage in the history of consciousness. "The sacred 'is within us all', Viola concludes, 'intuitive awareness and unwavering belief in the other world.”

[13] Chris Townsend, "Call me old fashioned, but…", The Art of Bill Viola, Thames & Hudson Ltd. London, 2004, p.23. “With the media of the modern world, Bill Viola gives us an art that is 'old fashioned': it is singular in the age of the reproduction and the multiple; it seeks profundity rather than glib entertainment; and it towers over us, transcendent, when we would seek to control all that we see.”

[14] Citation de Mark Nash dans le catalogue d’exposition Une vision du monde, la collection vidéo d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, (19/02 – 14/05/2006), co-édition Fage et La maison rouge, Paris, 2006, p. 31. Walter Benjamin, Je déballe ma bibliothèque, trad. Philippe Ivernel, Payot & Rivages, Paris, 2000, p, 42.

Bibliographies
1. The Art of Bill Viola, Thames & Hudson Ltd., London, 2004.
2. Une vision du monde, la collection vidéo d’Isabelle et Jean-Conrad Lemaître, catalogue d'exposition (19/02 – 14/05/2006), co-édition Fage et La maison rouge, Paris, 2006.

3. Benhamou Françoise, L'économie de la culture, (5e édition), La Découverte, Paris, 2004.

4. Kern Steven, Lester Joan, "Curatorial/Museum Plan Requirements", document non daté, www.navsea.navy.mil/ndp/download.asp?iDataID=1356

5. Leleu Nathalie, "L’art d’accommoder les restes, Transferts entre l’exposition et la collection", Collège de Philosophie / Centre Georges Pompidou, 4 – 5 Octobre 2002.

6. Simpsons Solicitors, "Acquisition of collection material", document non daté, http://www.simpsons.com.au/

7. Smithsonian Institution, "Acquisition and disposal of collections", document non daté, http://www.si.edu/opanda/index.html

8. Gras Savoye, "Le Régime Juridique des Œuvres d’Art", document non daté.


Annexe 1
Constitution de l’œuvre installation vidéo Five Angels for the Millennium, 2001

Équipements :
5 projecteurs du type Sony D-50 CRT
5 bâtis de plafond PSS 70
10 haut-parleurs stéréo
5 lecteurs de DVD du type Pioneer 7400
5 amplificateurs QSC
5 égaliseurs de 15 MB de RAM
5 structures de rangement d'équipement avec rayonnage
10 transformateurs de 1000 W et des fils, câbles et prises électriques

Pack de master d’archivage :
5 masters de Bêta SP Digital copiés directement du master original

Copie d’exposition :
2 exemplaires de 5 copies DVDs
1 exemplaire de 6 DVDs pour le pack de master d’archivage