vendredi, mars 31, 2006

Johan Grimonprez, « Dial H-I-S-T-O-R-Y », 1997, Installation Vidéo, 68 mn




Copyrights Reserved: MNAM, Centre Pompidou / Johan Grimonprez



Sypnosis :
La vidéo « Dial H-I-S-T-O-R-Y » de l’artiste belge Johan Grimonprez est une œuvre réalisée en 1997. En juxtaposant des séquences d’informations télévisées, des reportages et des archives sur des événements de piraterie de l’air (hijacking) de ces 40 dernières années et les vidéos filmés de l'artiste accompagnées d’une musique au rythme rapide composée par David Shea, musique parfois joyeuse, voire ironique, Grimonprez tends à la fois à montrer une évolution de la télévision au travers d’un événement spécifique qui est du terrorisme international et à démontrer la manipulations et la recontextualisation des images et des informations des chaînes de télévision multinationales, tout en portant un regard critique vis-à-vis de la construction et de la transformation de l’histoire, d'une histoire en train de se faire, d’une permanente ré-actualité.

Les commentaires en voix off sont des extraits tirés des romans White Noise & Mao II de l’écrivain américain Don DeLillo qui opposent l'écrivain au terroriste, l'art au spectaculaire. La télévision apparaît ici comme un nouveau appareillage du regard, une machine de contrôle, au pouvoir didactique individualisé et ces événements livrés devant nos yeux en temps réel tendent à nous entraîner dans des jeux de manipulation du regard, de l'opinion et des sensation jusqu’à la paranoïa.

Quatre lectures possibles :
Dans une interview réalisée avec l’artiste par Pierre Bal-Blanc et Matthieu Marguerin, l’artiste explique les différentes lectures possibles de l'œuvre :
1. Le sujet des détournements d'avion peut se lire comme une métaphore du détournement des images et de leur contexte, à la manière de la vidéothèque. C'est un pouvoir iconoclaste accessible au spectateur aussi bien qu'une stratégie esthétique sur laquelle repose le film.
2. Il y a les images que je détourne pour susciter un débat, de l'autre les événements que je situe dans leur contexte historique, en précisant les lieux ou les dates, mais dans une forme proche de ce qu'on voit sur CNN par exemple, qui opère déjà une recontextualisation en soi en transformant la narration en soap opera ou en insérant des pubs entre les infos.
3. C'est aussi une recherche sur la relation complice entre l'histoire et la télévision, qui s'inscrit dans une chronologie spécifique : l'évolution de la façon de représenter les détournements d'avion à la télévision.
4. Et ce d’autant plus qu'il y a deux niveaux de commentaire sur les images :
- Une narration fictionnelle fondée sur des extraits de Mao II et de Bruits de Fonds de Don DeLillo, où s'opère une discussion entre terroriste et écrivain.
- Un commentaire personnel plus critique.

Reflexion :
En parlant du support vidéo VHS (et DVD), Grimonprez évoque la nature domestique et facile d'accès de celui-ci. En parallèle avec l'utilisation des séquences télévisuelles, la notion de Living-room domestique est perçue comme à la fois le lieu d'infiltration des manipulations des médias mais en même temps le lieu de résistance par excellence incitant les spectateurs à prendre une distance critique vis-à-vis des images diffusées par la télévision. Cependant, c'est peut-être cette intention sincère de l'artiste qui nous laisse perplexe en raison de l'ambiguïté du processus de montage du film. Car ces séquences télévisées présentées dans ce film sont également une sélection subjective de réalisateur. Et sa façon de présenter un panorama de News télévisés sous forme de zapping, en utilisant des images sensationnelles et des paroles provocantes, nous attire en même temps dans une contemplation inouïe qui n'est pas loin du procédé utilisé couramment par les médias. Le montage du film imite à la fois la présentation télévisuelle mais aussi le fonctionnement de la mémoire visuelle ou de la mémoire tout court, qui, malgré la déclaration de l'artiste sur son intention de dénoncer la réalité des médias, laisse néanmoins planer un soupçon de manipulation mentale des spectateurs.

En référence à un autre travail de l'artiste "Prends garde ! A jouer au fantôme", une vidéothèque mobile constituée de films, de documentaires de vidéos d'artistes, de publicités ou de séries télévisées, l'artiste parle de la métaphore que représente la maison (le foyer) qu’il rapproche des actes des terroristes se battant pour retrouver leur terre, leur pays et leur Home Land à travers le moyen de la transgression violente des frontières. Pour l’artiste, cette idéologique politique utopique mais aussi empirique aboutit finalement dans la plupart de cas à un sacrifice de soi au profit d'une cause plus importante ou plus sacrée qui les emporte vers au-delà d'un monde délaissé, fragmenté, assourdi et sans voix.

La question ultime dans cette oeuvre est peut-être l'interrogation sur la réalité de l'information, la réalité du monde, la réalité de l'histoire et enfin la réalité de l'image. Au début de l'interview réalisée avec Catherine Bernard, l’artiste cite une déclaration du président des Etats-Unis Richard Nixon qui est également présentée dans le film sur les détournements d'avion : "If it wouldn't have been for science, there would be no airplane, and if there was no airplane there wouldn't have been any hijackings, so we could make the argument that it would be better not to have science at all.", cette déclaration cynique, stupéfiante, irresponsable mais réelle est peut-être justement la réponse que nous livre l'œuvre de Johan Grimonprez. C'est un sentiment de paradoxe et d'incompréhension en face d'une revendication et d'une action violente sans issue, mais aussi un sentiment d'impuissance et de réticence devant une oeuvre séduisante et sensationnelle qui nous entraîne dans son zapping vertigineux. Et la réalité des images montrées nous apparaît à la fois proche et lointaine, grâce au film mais aussi en dépit de celui-ci.

L'art et l'œuvre d'art n'ont pas la vocation de changer le monde, mais grâce à leur nature évocatrice ils peuvent nous inciter à adopter un autre point de vue, une autre manière de penser et un autre rapport au réel qui n'est pas une fin en soi mais un lieu intermédiaire de réflexion et de méditation. Cet écrit se terminera sur la phrase de Paul Virilio, empruntée à plusieurs reprise par l'artiste : "Chaque nouvelle technologie invente aussi ses catastrophes, comme l'invention de l'avion amène l'invention de la chute de l'avion. Avec l'apparition de la télévision, on a inventé un autre rapport avec la catastrophe et avec la mort." Et si l'invention du pouvoir amène également l'invention du contre-pouvoir, celle de l’autorité aboutit à celle du terrorisme, pourrons-nous construire une vision clairvoyante du monde et de ses équilibres ? Cette question nous laisse un sentiment de mélancolie et d'impuissance en face de cette oeuvre complexe. Avec l'avancée du temps réel et de la real TV, nous nous trouvons peut-être déjà confrontés à un supermarché de l'Histoire où tout est à vendre et donc où tout est soumis à manipulation et à interprétation subjective et orientée, y compris notre propre histoire.

Note:
1. Pierre BAl-Blanc et Matthieu Marguerin, BEWARE !, BLOCNOTES, No. 15, 1998.
2. Catherine Bernard, Supermarket History, PARKETT, No. 53, 1998, p. 6 - 18.

Co-Production de l'œuvre
Kunstencentrum STUC, Leuven Het Atelier, Rony Vissers, Bruxelle
Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris, Département Nouveaux Médias – Christine van Assche
Support de Documenta X, Kassel
Fondacion Provincial de Cultura Diputacion de Cadiz
Faces of Flanders Klapstuk 97, Leuven
Ministerie van de Vlaamse Gemeenschap, Brussel

Excerpts from White Noise & Mao II de Don DeLillo
Music & sample collage by David Shea